La Tasmanie dans l’oeil de Pierre Destribats

Reportage

Le photographe Pierre Destribats, membre de la communauté Nikon Club, nous propose de partir à la découverte de la Tasmanie à travers un récit détaillé de son dernier voyage dans lequel il partage ses souvenirs et ses photos. Bon voyage !

 Tasmanie. Après l’avoir exploré sans relâche, ce mot résonne différemment dans ma tête à présent. Avant cette année en Australie, je dois avouer que je ne savais certainement pas bien la placer sur une carte du monde. Peut-être même pensais-je que c’était un pays à part entière comme le pensent encore beaucoup de personnes. Mais il n’en est rien.

La Tasmanie est avant tout une île et un état australien, situé au sud-est ce pays continent. Malgré sa faible superficie, elle n’a rien à envier au Mainland. En effet, près de 20% de son territoire est classé au Patrimoine mondiale de l’UNESCO, aussi appelé « the Tasmanian wilderness », constituant ainsi une des dernières zones sauvages tempérées de la planète.

Les 15 jours prévus initialement sur l’île se sont transformés en presque 5 mois car il faudrait certainement un livre entier pour montrer et raconter tout ce que j’ai pu vivre et observer là-bas. Ces quelques photos font partie de mes moments favoris, soit par l’histoire qui accompagne la prise de vue, soit par la photographie en elle-même, ou bien souvent les deux à la fois.

Le South West National Park, le plus grand parc national de l’île et de ce fait la plus grande zone classée UNESCO reste un de mes endroits préférés. Entre chaines de montagnes abruptes et grandes plaines humides, c’est l’une des zones la plus inaccessible de l’île. Après avoir hésité, et bien que mon solide D800 soit tropicalisé, j’ai préféré ne pas me risquer dans cette aventure-là en hiver. Parfois vous passez plusieurs jours entiers dans la boue, à essuyer quelques braves tempêtes qui vous rappellent que vous êtes bien en ligne de mire des quarantièmes rugissants. Ici, comme dans d’autres endroits sur l’île, les vastes forêts d’Eucalyptus regnans – l’un des plus grands arbres du monde – se donnent souvent en spectacle après la pluie.

Le South West National Park possède également un grand lac, réalisé par l’homme au siècle dernier pour les besoins en électricité de l’île. Cette zone est presque constamment soumise à un temps perturbé et humide, comme toute la partie Ouest de l’île en général. De nombreuses chaines de montagnes, pas excessivement hautes mais réellement photogéniques, décorent cette scène et j’ai toujours été surpris des ambiances et des jeux de lumières à chacune de mes haltes là-bas.

J’avais déjà repéré un spot sur une petite colline bordant le lac. Comme habituellement le temps était très perturbé, avec de fréquentes averses allant jusqu’à la neige et l’air froid d’antarctique arrivant du sud. J’ai attendu plus d’une heure, avant qu’une furtive éclaircie apparaisse à travers les épais nuages noirs, laissant filtrer cet improbable rayon aux teintes orangées.

Parfois, j’ai aussi pu découvrir des choses plus insolites, plus rares, mieux cachées aussi. Comme cette après-midi d’automne où j’ai pu observer des vers luisants dans une grotte, après une jolie marche d’approche à travers la Rainforest. Au départ, vous ne voyez pas. Pourtant on vous l’a dit « attendez et alors vous verrez ». Les minutes passent, vous vous enfoncez un peu plus profondément dans la cavité et le spectacle commence : tel un ciel étoilé, de faibles points lumineux apparaissent petit à petit sur les parois. Surtout pas de flash dans ces conditions, ladite luciole est bien fragile. J’ai donc préféré pousser les capacités mon D800 pour obtenir un résultat à la hauteur de mes attentes avec un temps de pose de 30s à 6400ISO. Mon 14mm était à f/2.8 pour maximiser le captage de cette très faible lumière bleutée.

La forêt primaire ici en Tasmanie est un des précieux joyaux de l’île. Elle est la relique de ce qu’était la végétation il y a 60 millions d’années dans cette partie du globe alors qu’il n’y avait encore qu’un seul supercontinent, Gondwana.  Sassafras, Myrtle, Leatherwood ou encore Huon Pine sont des espèces typiques de ce qu’on appelle ici la « Tasmania’s Cool Temperate Rainforest ».

Les deux dernières espèces citées ne poussent uniquement qu’en Tasmanie, et certains rares Huon Pine ont plus de 2000 ans. Tous ces éléments font de cette forêt primaire un endroit à part, où j’ai aimé me perdre, errant dans ce royaume verdoyant, gardé par ces immenses cathédrales centenaires. Si vous êtes chanceux, vous pourrez apercevoir le timide oiseau Lyre ou l’entendre avec ces chants reproduisant n’importe quel son entendu autour de lui. Si vous êtes très chanceux, vous pourrez aussi apercevoir le menacé Diable de Tasmanie entre le coucher et le lever du soleil. Et concernant le Tigre de Tasmanie, certains voudraient qu’il existe encore au plus profond de la forêt, mais après l’avoir chassé sans relâche, plus personne ne l’a entrevu depuis 80 ans…

L’Arthur River, un cours d’eau encore libre et sauvage où l’homme n’a pour le moment pas mis la main dessus… La rivière suit son cours à travers la Rainforest, surmontée sur les hauteurs, de forêts humides d’eucalyptus géants.

Cette dernière photographie est, je pense, ma favorite de ces 4 mois et demi passés en Tasmanie. Je l’ai prise au petit matin, après une première ascension d’un pic à 1000 mètres d’altitude avant le lever de soleil. Une des randonnées vous permet de voir 3 cascades, dont Russels Falls, la plus connue. Celle que j’ai photographiée, Horseshoe Falls, se trouve vite après la première, mais le touriste de base est souvent feignant et ne fait pas le petit effort supplémentaire. Le soleil d’hiver était relativement bas, même à la mi-journée, j’ai pu l’avoir dans la composition, juste derrière la cascade. Le moins évident a surtout été d’avoir l’image que je voulais. Beaucoup d’essais au départ, équipé de mon 16-35mm, avec le filtre polarisant visé dessus, pour atténuer certain reflets sur l’eau, et accentuer le vert. Après plus d’une heure d’essai, j’ai radicalement changé de spot et mouillé quelque peu mes chaussures pour finalement sortir cette photographie.

Ce qui m’a beaucoup plus en Tasmanie, c’est bien la diversité des paysages et des climats. De l’ouest verdoyant, humide et plus frais, le climat de la côte Est ressemble plus à un climat méditerranéen, les épisodes pluvieux d’automne en moins. La pointe Sud Est de l’Ile constitue la Tasman Peninsula dont une grande partie côtière fait partie du Tasman National Park.

Le plus impressionnant ici sont ces caps rocheux s’avançant vigoureusement vers l’océan antarctique bouillonnant. Les caps eux même sont faits d’immenses colonnes de roches doléritiques où vous avez intérêt d’avoir le cœur bien accroché lorsque vous vous approchez du bord des plus hautes falaises (maritimes) de l’hémisphère sud, 300 mètres, rien que ça.

Ce jour-là, j’avais exceptionnellement pris mon D90, fidèle boitier qui tient encore le coup après tous mes voyages, et je l’ai fixé sur mon trépied de sortie qu’il soit complètement dans le vide ; après coup, je ne suis pas certain que j’aurais fait la même avec le D800 ! Petit capteur oblige, le 16mm est devenu un 24mm, je perdais un peu du grand angle, mais l’effet de vide mettait en valeur ces imposantes colonnes de roches pointant vers le ciel. J’ai également utilisé un filtre ND 400 pour lisser quelque peu l’océan tumultueux.

De là-haut, vous dominez l’océan. Parfois, en tendant bien l’oreille, vous entendez même quelques phoques à fourrure se chamaillant en contrebas. A la bonne saison, certainement que les baleines vous feront le spectacle, lors de leur migration annuelle. Mais la vue elle, qu’importe la saison, vous comblera toujours.

La photo ci-dessus a été prise au coucher du soleil. Une énième dépression bien creuse circule à quelques centaines de kilomètres des côtes ouest, formant d’intéressantes structures nuageuses à sa périphérie. Dans une ambiance d’heure bleue, un dernier rayon illumine ce nuage pendant quelques minutes, avant que toute la scène s’obscurcisse définitivement. La photo est constituée de deux images prise à 70mm, formant ainsi ce panorama.

On ne peut pas parler de la Tasmanie sans parler du mythique Cradle Mountain National Park. Toujours dans la zone classée, il est mondialement connu pour l’Overland Track, un trek de 65 km à travers la Wilderness, à une altitude moyenne de 1000 mètres. Etant en Tasmanie tout l’hiver, je ne pouvais uniquement qu’explorer les extrémités sud et nord de la randonnée car ce fut un hiver très neigeux en Tasmanie, et beaucoup se sont retrouvés piégés là-haut.

Ce qui m’a marqué quand j’ai pris cette photographie, c’est la lumière présente alors que le soleil était couché. J’ai toujours détesté les grands ciels bleus, n’arrivant pas à les mettre en valeur sur un cliché. Mais cette fois-ci, je crois avoir compris beaucoup de choses et cela m’a définitivement fait changer d’avis. Toujours prise à l’ultra grand angle avec mon 16-35 mm, j’ai fait une pose de 6 secondes pour bien laisser pénétrer la faible mais magique lumière présente ce soir-là, et l’ouverture réglée sur f/16 pour allier profondeur de champ et qualité d’image.

Mais pour le photographe Lambda, la simple vue de Cradle Mountain, le lac glaciaire de Dove Lake et toute la zone autour offrent un potentiel énorme en photo. Les lumières du matin et du soir sont d’un autre monde là-haut et si en plus vous êtes chanceux d’y être hors saisons touristiques, alors vous n’en serez que plus heureux.

La lumière était encore une fois d’un autre monde, c’était la première fois que je voyais ces teintes violettes dans le ciel. Le soleil n’était pas levé mais très vite, la luminosité générale augmentait, faisant disparaître les belles couleurs. Le lac lui était tel un miroir, pas un souffle de vent dans un air bien refroidi. Mon 16-35mm associé au D800 fit encore un joli travail, la dynamique me permettant de travailler ce seul cliché.

Enfin, la cerise sur le gâteau en Tasmanie, ce sont les aurores australes. Il  y a très peu de chance que vous voyez les lumières dansantes au-dessus de vos têtes comme en Norvège ou en Islande, étant à une latitude plus basse par rapport au pôle, mais par contre, vous aurez le plaisir d’en voir tout au long de l’année, car pas de soleil de minuit à cette latitude.

Je suis parti sur l’île en rêvant de ce moment où le ciel s’éclaircirait de vert et de rose dans la nuit australe, ces nuits si noires où la voie lactée vous inonde d’étoiles. Les aurores étant un phénomène lumineux de très faible intensité, plus vous aurez un objectif lumineux et un boitier performant, plus vous augmentez vos chances de ramener le cliché dont vous rêvez. J’ai donc associé à mon D800, un 14mm ouvert à f/2.8. A 3200 ISO, l’image reste propre et facile à traiter derrière. Quand au temps de pose, la clé repose surtout l’intensité de l’aurore, en mouvement ou pas. Ici, 10 sec m’ont permis de « figer » ce mouvement.

Mon plus beau souvenir restera certainement un de mes derniers jours passés au Dove Lake, devant Cradle Mountain, ou après avoir attendu plusieurs heures dans la froideur de la nuit, demoiselle aurore s’est montrée, aussi intensément que furtivement, dans ses plus belles robes.

Vous pouvez retrouver toutes les infos sur le nouveau voyage photo en Tasmanie qu’ils proposent à l’adresse ICI et son travail en général sur son site www.pierredestribats.com

Pierre Destribats

Pierre Destribats

Auteur-photographe, spécialisé dans la photographie de paysage et de nature. De retour en France après avoir passé une année en Australie, dont 5 mois en Tasmanie, un fragile écrin de beauté au bout du monde que j’ai exploré sans relâche.

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