Entretien avec David Wolff-Patrick – musique et photographie

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Photographe spécialisé en musique de l’Agence Getty Images, David Wolff-Patrick a plus de 2000 artistes dans ses archives. Entre shootings Live et sessions posées, il revient avec nous sur les spécificités du métier, un quotidien marqué par l’urgence, les contraintes, l’imprévu, mais aussi la passion, l’énergie et les vibrations.

Comment avez-vous découvert la photographie ?

Vers 18 ans, je me suis inscrit dans un laboratoire de développement d’une MJC et c’est un professeur de photographie passionné qui m’a donné goût à la technique, au développement. Les bases : les règles du nombre d’or, des 3 tiers, les points forts. Mon père m’avait confié deux appareils argentiques Minolta pour que je les vende au labo mais j’ai fini par les utliliser si souvent qu’il m’ a proposé de les garder. J’ai trouvé alors un moyen de communiquer avec la photographie, sans forcement être à l’aise avec les mots. Ce que j’aime dans l’image, c’est qu’il n’y a pas d’équivoque et que l’ interprétation est liée à la sensibilité de la personne qui la contemple.

Vous avez commencé par la musique ?

J’ai vraiment commencé à m’intéresser à la musique au début des années 90. J’ai vécu un temps aux Etats-Unis et un jour, nous étions en voiture et la radio passait le groupe Garbage, j’ai flashé sur les titres Queer et Vow. De retour en France, le groupe est passé à l’Elysée Montmartre, je suis allé les voir après le concert.

Je voulais travailler avec eux, sans trop savoir quoi faire, mais j’étais très motivé. Butch Vig, le batteur du groupe (ndlr. producteur de Nirvana, Smashing Pupkins, Foo Fighters), m’a alors dit qu’il n’y avait pas de Fan-Club français du groupe et m’a proposé de m’en occuper. Grâce à ses contacts, j’ai pu me rendre chez BMG où j’ai rencontré Stéphane Le Tavernier, jeune chef de projet à l’époque qui est aujourd’hui PDG de Sony Music France.

On a fonctionné sur un mode de bénévolat passionné pendant 3 ans en éditant un fanzine. C’est ça qui m’a permis de découvrir la photo de scène, à l’argentique. Mais avec l’arrivée d’internet, il était de plus en plus compliqué de trouver du contenu pertinent et rare. Par manque de temps et de moyen, on a stoppé le fanzine. J’ai continué la photographie pour les magazines internes de maison de disque et le magazine gratuit d’une chaine de fast food. Même si mes premiers concerts en tant que photographe datent environ de 1993, je n’ai vraiment intégré le milieu qu’à partir de 2003/2004. Même si c’était très rare d’obtenir les accréditations à l’époque.

BB King - Grand Rex, Paris - 9 juin 2012 - (Nikon D4 - 70.0-200.0 mm f/2.8) - BB King avait 83 ou 84 ans à cette époque, c’était ses dernières tournées. Il n’est pas facile d’arriver à capter le regard de l’artiste. Avec la pratique, parfois tu parviens à ce moment de « grâce ». Tu n’es pas seul dans la fosse, l’artiste regarde le public le plus souvent, il fixe un point et sur une rafale de cinq à dix photos, parfois son regard croise le tien.

Comment obtenir une accréditation ?

Du côté de l’organisateur ou du label, il est préférable qu’il connaisse le travail du photographe. Il y a un jeu de relation. Ensuite il faut justifier pour quel média l’on travaille. Les pass photos sont très limités. En moyenne, il y a entre 4 et 7 photographes qui travaillent sur un concert. Les maisons de disques accréditent souvent en priorité les médias papiers : Le Monde, Le Figaro, le Parisien, Paris Match. Ensuite les agences, puis la presse digitale. Il y a là aussi un peu de frustration car parfois beaucoup de demandes et peu d’élus.

Qu’est ce qui a changé par rapport au passé ?

Avant il n’y avait pas cette notion de digital ni la règle des 3 premières chansons, les conditions étaient plus souples et tout le monde semblait s’en accommoder. Mais cette règle des 3 chansons  sans flash date de plus d’une dizaine d’années.

Nine Inch Nails (NIN), Festival Rock en Seine, 24 août 2013 (Nikon D4 - 70.0-200.0 mm f/2.8) - NIN est un groupe dont je suis fan depuis très longtemps. C’était la première fois que je shootais Trent Reznor. Je me suis mis doublement la pression. L’atmosphère est très froide, impersonnelle. Trent Reznor, en terme de lumière a une idée bien arrêtée de ses shows. Son designer scénique, Rob Sheridan, est aussi très pointilleux. Il y a beaucoup de strobes. Cela donne des conditions de lumières très fugaces et violentes. J’étais assez hypnotisé par la personne : il y a une symétrie, un regard, une violence qui reflète bien le style musical de NIN.

Et comment travaillez-vous avec cette contrainte ?

Je m’en accommode. Le travail du photographe de concert est rempli d’incertitudes, tu ne sais pas à quelle sauce tu vas être mangé avant d’arriver sur un concert. Les conditions sont floues. Parfois tu ne vas avoir accès qu’à un seul titre, j’ai même vu du 30 secondes. Ensuite les placements sont cruciaux : au fond de la salle, à la console ? Devant la scène, mais de quel côté ? C’est la décision de l’artiste, du management, du tour manager, parfois de la salle. Par défaut, cette règle des 3 titres est inscrite dans les mentalités mais c’est variable.

Elle implique d’être très rapide, efficace. On travaille toujours dans l’urgence. Que cela soit pour du live où tu n’as pas droit à l’erreur avec une seconde voire moins pour déclencher. C’est pareil pour les sessions posées. En moyenne pour des portraits, c’est 4 minutes avec l’artiste. Tout ça s’inscrit dans des plannings promotionnels très chargés. Par rapport au live tu dois composer aussi avec une lumière parfois très difficile. On travaille sur les trois premiers titres, on est raccompagné par le service de sécurité, on se retourne vers la scène et la lumière est bien sûr magnifique, alors qu’on a passé les trois premiers titres à batailler avec la lumière LED. Là encore il y a de la frustration car les conditions de prises de vues auront été peu idéales et rapides, alors que l’on nous demande de faire de bonnes photos.

C’est-à-dire ?

LED et laide, les deux termes vont de pair ! D’un point de vue technique, la LED rouge sature les capteurs des appareils et la bleue laisse des plaques qui détériorent la prise. Il y a de nombreux photographes qui transfèrent ensuite en Noir & Blanc, faute de mieux.

Drake - Palais Omnisports de Bercy, Paris - 24 février 2014 (Nikon D4 - 70.0-200.0 mm f/2.8) - Drake est comme happé par un ovni. C’est un cliché qui se démarque un peu de l’image de l’artiste. En rap, souvent l’artiste a le micro devant la bouche ou la casquette qui masque une partie du visage. Mais ça reste un bon exercice. J’aime photographier le rap pour le côté très violent et très rapide.

Avez-vous un registre musical de prédilection ?

Je suis ouvert à tous les genres. J’ai pour habitude de me renseigner en amont sur l’artiste que je vais aller photographier, en surveillant les publications dans la presse internationale. J’ai aussi un bon réseau avec les attachés de presse des maisons de disques, qui me donnent accès aux chiffres et à ce qui va être poussé en terme de promotion.

Post Pop Depression - Grand Rex, Paris - 15 mai 2016 (Nikon D4S - 70.0-200.0 mm f/2.8) - Iggy Pop a livré un show historique au Grand Rex avec le projet Post Pop Depression. D’autant plus que j’adore Josh Homme avec Queen of the Stone Age. Le mélange des deux a donné quelque chose de vraiment explosif sur scène à la fois très brut et fascinant.

Et qu’est ce que ça apporte dans votre acte de photographier ces renseignements en amont ?

Il y a un côté adrénaline sur un shooting live. Parfois tu peux être amené à saisir un moment historique pour tel ou tel artiste. Cette pression que je me mets est nécessaire pour essayer d’être le plus concentré possible sans se perdre dans une routine. Lorsque tu couvres un concert 5 à 7 fois par semaine, un festival avec 20 ou 30 artistes à photographier, la routine s’enclenche. L’idée est d’arriver à rester frais dans sa tête. Le travail de mes collègues, dans des styles très différents, est toujours une source d’inspiration. C’est aussi important de se renseigner auprès des photographes qui ont couvert les mêmes concerts que toi, dans d’autres pays. Sur une même tournée, quand l’artiste est déjà passé par Londres, Berlin, je vais me renseigner sur les placements, les lumières, les poses, la configuration de la scène parce qu’il y a de grandes chances que les conditions soient les mêmes sur Paris.

Cody Chesnutt - Festival We Love Green en 2012 (Nikon D4 - 70.0-200.0 mm f/2.8) - J’avais demandé la possibilité de faire le portrait juste avant qu’il monte sur scène. Cody Chesnutt a une attitude très originale, il monte sur scène un peu comme un messie. Il y a un côté très religieux dans son partage de l’amour et de la musique avec ses fans. C’est ce que j’ai essayé de retranscrire avec ce regard solennel, son casque, il est presque en mission.

Comment qualifieriez-vous votre style ?

Après 5 ans passés chez Getty Images, une agence spécialisée dans l’entertainment et qui a vocation à fournir un nombre très large d’organismes de presse, j’ai formaté mon style vers une forme résolument classique, pour passer partout. Proposer un style approximatif, prendre des risques sur des mouvements de bougé, peut correspondre à certains médias plus spécialisés, mais je ne peux pas passer à côtés des médias plus généralistes. Ce qui m’importe aujourd’hui dans la photographie, comme le disait Andy Warhol, c’est la netteté.

Par rapport à la lumière, c’est là que la technique intervient. Ton appareil photo doit monter très haut en ISO pour obtenir des vitesses correctes par rapport aux mouvements de l’artiste. Avec la lumière LED, tu seras obligé de passer par la post-production pour récupérer sur la colorimétrie. Personnellement, je dois passer 15 à 20 secondes par photo en post-production, d’où mon interêt d’être le plus juste possible lors de la prise de vue. Je vais essayer de récupérer les bonnes teintes de peau, d’avoir quelque chose de vrai tout en conservant l’atmosphère scénique.

Parlez-nous de votre équipement pour les lives.

Sur les shootings live, je viens « avec ma maison » : mon sac à dos avec mes boitiers, un sac dédié au téléobjectif, mon tabouret et un monopod. Sur des shootings à la console, à 40 mètres de la scène, je me retrouve parfois en extension avec très peu d’équilibre. Il faut être le plus haut possible pour passer au-dessus des mains. A cet emplacement, je compare souvent mon travail à celui d’un sniper : tu es en planque, installé avec une stabilité optimum, dans un espace très restreint en promiscuité avec tes collègues, tu attends le moment opportun. Selon l’importance de ton sujet tu vas aller sur des rafales plus ou moins rapides en suivant le mouvement. C’est très important d’anticiper.

Concernant votre matériel, vous utilisez depuis toujours Nikon ?

Je me suis équipé Nikon lors de mon arrivée chez Getty Images en 2010. Avant j’ai toujours été en Canon. Pour avoir un parc de matériel polyvalent sur du live, il faut 2 boîtiers, 3 optiques, ce qui représente un budget assez onéreux, qui varie entre 12 000 et 20 000 euros. Ce n’est pas quelque chose de directement accessible, j’ai pris des crédits sur des optiques le temps de me les payer. Et petit à petit j’ai reconstitué mon parc. A la base je n’avais pas grand chose à reprocher à Canon. Aujourd’hui être passé sur du matériel Nikon pro m’a donné plus de réactivité, d’accroche de l’AF dans des conditions parfois pas évidentes. Tu vas être plus redoutable sur le mouvement et le suivi d’un artiste.

C’est quoi une bonne photo musicale ?

Celle qui rend compte de l’énergie, du contraste, du rythme et de la vibration qui émane d’une musique. Ce qui n’est pas évident puisque une photo est un objet figé. En essayant d’être le plus vrai possible. Si c’est pour dénaturer un show, je ne vois pas trop mon intérêt. J’essaie d’être fidèle à l’artiste et à ce qu’il essaie de montrer sur scène.

Pouvez-vous nous parler des portraits, les sessions posées ?

En phase de session posée, Il y a une relation de confiance qui doit s’établir au préalable avec tes interlocuteurs, qui peuvent être les chefs de projets, les managers, surtout avec des artistes qui sont sous le feu de l’actualité, où l’on va t’octroyer quelques secondes pour faire tes photos. Il faut rassurer l’entourage en montrant que notre travail va dans la même direction que celle de l’artiste.

Sixto Rodriguez, 02 février 2013 (Nikon D4 - 35.0 mm f/1.4) Au moment de ce shooting, il y avait eu la récompense du meilleur film documentaire consacré à Sixto Rodriguez « Searching for Sugar Man » aux Oscars 2013. L’idée d’une session portrait posé avait été évoquée mais sans aucune garantie. Pour Rodriguez, il fallait montrer patte blanche auprès de sa fille, une ancienne militaire. L’hôtel était assez design. Etant donné que Sixto Rodriguez est assez âgé, il n’était pas question de venir avec beaucoup de parasols, de flashs. Dans ces conditions, mes meilleurs alliés sont le décor et la lumière naturelle. Vis à vis de Sixto, la direction qui m’avait été donnée était qu’à aucun moment je devais lui dire quoi faire. Il fallait être le moins intrusif possible.

Quel est votre matériel actuellement ?

J’utilise deux boitiers Nikon D4S et toutes mes optiques sont à 2,8 : le 14-24, le 24-70, le 70-200, le 300 mm. Ensuite des optiques avec des focales fixes pour le portrait qui vont ouvrir à 1,4 : le 35 mm et le 80 mm. J’utilise aussi les convertisseurs 1,7 et 2 avec deux flash SB900. Je m’équipe toujours selon la salle et les placements que l’on m’aura bien voulu me communiquer. Suivant le shooting, la super équipe du NPS (Nikon Pro Service) est là pour me prêter du matériel dont j’aurais besoin et que je ne possède pas (un 400 Mms. à 2.8 par exemple). Ce sont également eux qui entretiennent mon matériel très régulièrement.

Herbie Hancock et Chick Corea, Olympia, 04 juillet 2015 (Nikon D4S - 70.0-200.0 mm f/2.8) - Si l’acoustique ne me permet pas d’être en rafale, je vais m’adapter en conséquence. Par exemple pour Herbie Hancock et Chick Corea, où il y a beaucoup de silences dans la musique.

Est-ce que le style musical à une influence sur votre manière de photographier ?

Je m’adapte au registre de l’artiste. S’il bouge beaucoup, je vais avoir tendance à multiplier les clichés. Ou bien le contraire, si l’artiste reste posé, je n’ai pas besoin d’être rentre-dedans car le style musical ne s’y prête pas. Sur du Léonard Cohen, il n’y a pas lieu d’être en rafale. Sur Bloody Beetroots qui saute dans tout les sens, cela s’impose. Le fait de toucher plusieurs styles musicaux différents t’offre une palette plus originale pour tes prises de vues. Si tu restes avec des artistes classiques, forcement tes photos le seront aussi.

Avez-vous un souvenir d’un shooting particulèrement difficile ?

On m’a demandé de couvrir le groupe Eagles Of Death Metal lors de leur retour à Paris, le 16 février 2016, pour terminer le concert qu’ils auraient dû faire le soir du 13 novembre 2015 au Bataclan. C’était très difficile pour moi, c’était une commande, une sortie DVD à l’occasion de leur nouvelle date à l’Olympia. Je les ai suivi toute la journée pour les répétitions, les loges, le live. Sachant que je devais fournir également certaines photos tout de suite, sans post production. Il y avait une attention mondiale sur ce concert, des barricades partout, des services de sécurité omniprésents, des journalistes partout devant la salle. C’était d’autant plus difficile pour moi car je connaissais et adorais le chef de projet du groupe avec qui je travaillais régulièrement depuis plusieurs années. Il n’est plus là depuis le soir des attentats au Bataclan. Je pense régulièrement à lui. Ce métier fait rencontrer beaucoup de gens et il arrive que l’on sympathise avec certaines personnes plus que d’autres.

David Wolff-Patrick

David Wolff-Patrick travaille pour l’Agence Getty Images depuis 2010 et couvre l'actualité musicale : concerts, festival, portraits, tous genres confondus. On retrouve ses clichés dans Rolling Stone, The Guardian, The Times, Le Monde, Télérama... Il travaille également pour Sony Music, Fender, Apple.

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