En voyage, la photo volée est souvent tentante pour les portraits, la différence de langue étant généralement une barrière derrière laquelle on se réfugie pour éviter de rentrer en contact. C’est aussi la manière de conserver un certain naturel du sujet, qui ne sait pas qu’il est photographié, mais on prend alors le risque, si l’on est dévoilé, d’avoir des conflits à gérer. Gérard Planchenault est formateur à la Nikon School et anime plusieurs voyages (Londres, Norvège du Nord, New York). Il nous explique que prendre le temps de la rencontre, c’est à la fois respecter le sujet photographié mais surtout se laisser l’opportunité d’une complicité forte qui permettra des images uniques.
« Ces 6 photographies faites aux 4 coins du monde ont un point commun : elles résultent d’une complicité, pendant un instant, entre le sujet photographié et le photographe. Ce type de photographie résulte d’une intention photographique assez claire dans l’esprit du photographe et de sa capacité à diriger le modèle pour qu’il épouse cette intention, tout en respectant sa spontanéité. Avec gentillesse, conviction et énergie. Sans l’adhésion du modèle, pas de photographie.
Pour que ce type d’image existe il faut d’abord lutter contre soi-même, sa propre timidité, sa certitude que ça ne va pas marcher, que la personne va refuser etc. Il faut avant tout être positif, être souriant et communiquer son enthousiasme. La personne que vous photographiez doit ressentir que, pendant ce bref instant de l’échange et de la prise de vue, elle est pour vous la personne la plus importante ! Prenez le temps de regarder la photo avec elle, de la féliciter et de la remercier et bien sûr de noter ses coordonnées pour lui faire parvenir quelques photographies. Surtout soyez prêt à accepter que la personne puisse refuser. Et cela arrive d’autant plus rarement que vous y croyez vraiment en l’abordant ! »
Trouver la complicité
« L’église éthiopienne orthodoxe de Na’akuto La’ab est située à quelques kms des célèbres églises rupestres de Lalibela. Sa caractéristique est d’être construite sous un promontoire rocheux et de baigner dans une quasi obscurité permanente. Seuls quelques rares orifices étroits dirigent la lumière naturelle vers le lieu de culte où sont conservés manuscrits enluminés, icônes et croix en argent, objets précieux qui datent du XIIIème siècle. En arrivant, je salue le prêtre et lui demande la possibilité de réaliser son portrait avec la précieuse croix, ce qu’il accepte sans difficulté.
J’avais précisément repéré l’endroit où je souhaitais qu’il prenne place avec la croix : un faisceau d’une lumière très dirigée venait frapper la roche brune de la paroi alors qu’une zone d’ombre profonde constituait un fond noir parfait. L’éclairage latéral, que l’on qualifie de split lighting en studio, plonge alors la partie du visage du prêtre opposée à la source dans l’ombre et crée sur la paroi rocheuse une ombre portée parfaitement dessinée du prêtre et de sa croix. En mimant avec ma propre main un lent mouvement de rotation et en désignant la croix le prêtre comprend immédiatement que l’argent de la croix crée des reflets qu’il convenait de maîtriser. Et ainsi l’image qui était dans ma tête devenait réalité pendant quelques secondes dans ce climat d’ombre et de lumière empli de spiritualité. La complicité était trouvée. »
Nikon D4S 24-70 à 45mm 1/60 à f/4 à 6400 ISO Balance des blancs : 6200 K
Dépasser la différence culturelle
La mosquée Nasir-ol-Molk est située à Chiraz en Iran.
« Elle est célèbre pour son kaléidoscope de couleurs créé par la lumière qui traverse les vitraux colorés de la façade pour se refléter sur les tapis persans. Pour optimiser la prise de vue, j’avais au préalable recueillie de précieuses informations sur un blog. On ne peut en effet voir la lumière à travers les vitraux qu’au petit matin, dans un ciel sans nuage et à la condition que le soleil, en fonction de la saison, soit assez haut dans le ciel et de pouvoir éviter la foule des touristes ! Je mettais donc toutes les chances de mon côté en arrivant bien avant l’ouverture, en me montrant discret avec mon trépied et en croisant les doigts pour que les nuages déjà présents dans le ciel ne couvrent pas le soleil avant l’ouverture de la mosquée.
Une fois sur place, je tombe sur une femme en prière qui semblait m’attendre pour la prise de vue. Je résiste à la tentation de réaliser un portrait volé et je me dirige vers elle. Je me rends compte qu’elle est chinoise et qu’elle se laisserait volontiers photographier, à condition que j’obtienne l’accord de son mari, positionné non loin de là. Je reprends alors mon discours à destination du mari, et lui explique que sa femme, dont la traduction de son prénom est « Fleur », est la personne qui rendrait le mieux cet instant magique où le soleil filtre à travers les vitraux et créé cette féérie de couleurs : il accepte immédiatement. Moins d’une quinzaine de minutes s’étaient écoulées quand des grappes de touristes firent leur entrée. Seuls les premiers arrivés purent bénéficier du spectacle car bien vite les nuages cachèrent le soleil. Je mesurais une fois encore que la réussite d’une image dépend de très nombreux facteurs et que la chance est toujours la bienvenue, à condition d’avoir su la saisir. »
Nikon D4S sur trépied 24-70 à 60mm ¼ seconde f/11 à 100 ISO Balance des blancs : soleil
Rendre la dignité
« Staten Island est à la fois une île et l’un des cinq arrondissements de la ville de New York. Le point de vue sur la pointe sud de Manhattan y est très prisé par les photographes, en particulier dans les minutes qui précèdent et suivent le coucher du soleil. C’est l’endroit que l’on avait choisi avec les stagiaires du voyage Nikon School pour photographier cette heure magique.
Moment probablement un peu moins magique pour les homeless (sans abri) qui voient arriver la nuit avec inquiétude. L’un d’entre eux s’approche de nous peu après notre arrivée et nous demande un peu d’aide. En quelques minutes, il me dit s’appeler Ernesto, et être réfugié mexicain. Mon œil est immédiatement attiré par le contraste entre la situation de cet homme qui a fui la misère de son pays pour grossir les rangs des démunis, des exclus, Manhattan symbole de richesse et ce chariot symbole de la société de consommation et surtout la bannière étoilée arborée presque fièrement au-dessus du chariot qui contenait quelques victuailles et son bien maigre bagage. Quel sujet pour les stagiaires !
Alors comment demander à cet homme de réaliser son portrait ? L’élan du cœur et un profond respect me semblent alors la clé d’un échange authentique, et la pratique de l’espagnol apporte une note chaleureuse à l’échange : j’essaie de persuader Ernesto qu’il peut être fier de lui, que se tenir debout dans des conditions aussi difficiles mérite notre respect. D’homme abattu avec les yeux inondés de larmes, Ernesto se dresse, sourit et se montre très sensible à notre grand parapluie qui l’inonde de lumière et révèle ses yeux pétillants de vie sous la visière de sa casquette.
Une émouvante accolade scelle l’intensité de cet instant autour de l’image que lui renvoie l’écran de l’appareil. Bien sûr, quelques précieux billets verts proposés par les membres du groupe finissent d’éclairer cette fin de journée, marque d’une amélioration notoire de son quotidien pendant quelques jours. »
Nikon D4S 24-70 à 45mm 1/125 à f/11 à 800 ISO avec une sous-exposition de 1 IL ½ sur le fond. Flash SB 910 avec parapluie translucide de 1m de diamètre déclenché par radio. Balance des blancs : 7500 K
Trouver la passion commune
« Shoreditch, quartier hipster, tendance, créatif, clivant, très prisé par les amateurs de street art et incontournable pour les photographes. Et c’est dans ce très photogénique quartier de Londres, alors que j’attendais un bus, que je remarquais, de l’autre côté de l’avenue un jeune homme dont le look me séduisit immédiatement. Je slalomai rapidement entre les voitures au beau milieu de l’avenue pour le rejoindre avant qu’il ne disparaisse dans le trafic des piétons. Je lui parlais de ma passion pour le street art et le félicitai pour son look parfaitement intégré dans cet univers très graphique, très coloré et plein de créativité.
Mon french accent me valut un amical « OK pour ta proposition, ça me tente bien de faire des photos avec toi ! » et ce, dans la langue de Molière : Gregory était français et exerçait des petits boulots à Londres ! Riche expérience qu’il évoqua avec passion et qui n’avait d’égal que l’intérêt qu’il portait pour le street art. Je lui proposai de choisir son œuvre préféré parmi celles qui nous entouraient et c’est dans une totale complicité que cette image pu exister. Une belle histoire humaine qui occulta totalement toute discussion sur le volet technique de la photographie. »
Nikon D4S 24-70 à 30mm 1/60 à f/5,6 à 400 ISO. Balance des blancs : 6000 K
Au-delà des mots
Ethiopie. Vallée du Rift. Petit restaurant en bord de route.
« Il est des lieux qui à peine découverts vous fascinent. Des hommes, des lumières, des couleurs, des ombres portées, des matières, des lignes, des formes, tous ces éléments étaient présents dans ce petit restaurant. Un homme venait de s’installer dans un coin sombre de la pièce. Son visage très expressif, sa tenue jaune et la cruche verte me fascinaient. Je demandais à mon ami guide et interprète de bien vouloir lui expliquer pourquoi j’avais envie de le saluer et de le photographier tant son image dans ce lieu me semblait si bien représenter son pays, et que bien sûr je serais heureux de lui offrir son repas. Un large sourire répondit à ma demande et je peux alors réaliser quelques images.
Je me rends compte rapidement que ces premières images sont pour moi une esquisse de celles que je souhaitais vraiment réaliser. Car mon intension serait de le faire se déplacer dans l’angle opposé de la pièce, dans la lumière vive du soleil qui dessine sur le mur le tracé très précis de la fenêtre. Pris au jeu, mon modèle accepte bien volontiers de se déplacer avec le plateau qui contenait l’incontournable injera (grande crêpe caractéristique de la cuisine éthiopienne) et l’indispensable cruche verte qui équilibrait la composition par sa couleur, son volume, sa position. L’homme découvrit avec une légitime fierté sa photo sur l’écran du boîtier et son large sourire en disait long sur le moment que nous étions en train de partager. »
Nikon D3S 70-200 mm à 85mm 1/250 à f/5,6 à 200 ISO Balance des blancs : 6000 K
Dépasser ses préjugés
New York 5ème Avenue
« Alors que j’étais dans la 58ème rue à la recherche, selon la formule de Doisneau, de « mon petit théâtre » où je pourrais attendre « que les acteurs se mettent en placent », une limousine s’arrête à proximité, et deux jeunes femmes très excentriques en sortent, accompagnées par un homme au look très business men. Je me présente aux jeunes femmes et leur exprime mon souhait de faire quelques images avec elles. J’insiste sur l’originalité de leur look et sur leur incroyable énergie : elles sont pour moi une image symbole du rêve américain. Elles se montrent enchantées à l’idée de ce petit shooting mais me demandent toutefois d’obtenir l’accord de leur agent : le business man qui sortait de la même limousine. Ces femmes étaient donc des mannequins, et d’un coup, mon projet semble compromis. Mais qui ne tente rien … je m’approche de l’agent, et je lui explique immédiatement ce que ses modèles évoquent pour moi et j’insiste évidemment sur le fait que mes images sont à vocation purement documentaires et qu’elles n’ont aucun caractère commercial. « OK, no problem. Have fun ! ». Je n’ai eu que 5 minutes, mais compte tenu de l’énergie que ces femmes dégageaient, elles étaient explosives, ce que l’audace dans mon cadrage montre bien ! »
Nikon D3S 70-200 mm à 105mm 1/250 à f/2,8 400 ISO Balance des blancs : 6000 K
Ces images ne sont que quelques exemples, chaque rencontre ayant donné lieu à des photos aussi fortes les unes que les autres. Dans les stages Nikon School Gérard Planchenault sert souvent de catalyseur entre les stagiaires et les sujets photographiés, au début du voyage. Très vites, les stagiaires prennent alors le pli et dépassent leur crainte, la plus retord étant souvent la crainte du refus. Si le refus existe bien, l’expérience montre, si besoin était, que le plus grand risque est … de ne pas risquer !
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