Anne Kuhn, photographe d’art entre justesse et équilibre

Portrait

On la connaît pour sa série Héroïnes, Grand Prix de la première édition du festival Les Femmes s’exposent, qui lui a ouvert de multiples portes. L’occasion pour Nikon d’explorer le travail de cette photographe d’art dans le cadre de deux expositions.

En vingt ans, Anne Kuhn est parvenue à faire de la photographie son métier après un parcours de danseuse professionnelle, de portraitiste de célébrités sous contrat avec Gamma et de photographe de plateau. En 2018, elle rafle le trophée suprême au festival Les femmes s’exposent qui la propulse sous les projecteurs. Un an plus tard, sa série Héroïnes fait carrière et l’objet de deux expositions : à Houlgate, jusqu’au 31 août, pour la seconde édition de cet événement dédié aux femmes photographes, et en Italie au Palazzo Mora, durant la Biennale de Venise, jusqu’au 24 novembre. Est-on jamais libre ? C’est l’une des questions que soulèvent ses superbes clichés en diptyque, mais toute l’oeuvre d’Anne Kuhn questionne la liberté de la femme par le prisme de sa vie, guidée par un regard introspectif.

De l’isolement à la création

À 55 ans, Anne Kuhn donne corps à une forme d’expression artistique singulière, qui invite à l’observation et à la réflexion. Installée au Pays basque, cette photographe autodidacte, née à Paris, est dans une quête évolutive d’elle-même, créant avec son vécu et ses aspirations. « La nécessité de créer et de m’exprimer a toujours été présente. Mon ennui, mon isolement géographique et mon manque de réseau m’ont dirigé naturellement vers la photographie d’art. Je suis mon propre patron, guidée par mes propres intentions. Je suis libre et c’est primordial ». 

Son portfolio, riche de quatre séries photographiques, interroge la féminité, les conditions de la femme et ses libertés bafouées, puisant dans la construction baroque et l’éclairage contrasté propres au XVIIe siècle. Tous ses clichés prennent vie à travers sa propre histoire entre mystère, poésie, onirisme et surréalisme. Si elle revendique son attachement à Sophie Calle avec « Prenez soin de vous », qui lui a montré la possibilité de raconter une histoire personnelle à un public anonyme, son inspiration originelle remonte à son enfance : « J’avais huit ans quand j’ai découvert la rubrique Courrier du coeur dans le magazine Elle des années 60. Je trouvais fascinant qu’on puisse se confier aussi facilement et que quelqu’un puisse donner une réponse. Tout vient de là finalement ».

La femme, source d’inspiration

Ses photographies flirtent avec l’art et le cinéma ; la mise en scène est élaborée et sa démarche, toujours en mouvement, émotionnelle, intellectuelle. Anne Kuhn sonde ce qui tourmente, anime et émerveille les femmes célèbres (Jeanne d’Arc, Frida Kahlo, Emily Dickinson ou encore Niki de Saint Phalle) pour mieux se raconter. Avec Héroïnes, elle choisit des personnages de la littérature, maltraités, fourvoyés, sous le joug des conventions de la société patriarcale de leur époque. En deux clichés juxtaposés, elle dépeint ainsi Emma Bovary, Célestine ou Thérèse Desqueyroux selon les romans puis modifie leur destinée dans un contexte moderne, le tout agrémenté de questions philosophiques : « La plus ancienne est Lilith, qu’on retrouve chez les Sumériens 3000 ans avant JC, et la plus récente est Lisbeth Salander. Il a fallu ensuite les représenter à travers des modèles rencontrés par bouche à oreille ou de manière hasardeuse, dans la rue, à un arrêt de bus (Lilith) ou dans une salle d’attente d’hôpital (Salomé) ».

L’une de ses préférées ? Lolita, qui fait la couverture du livre éponyme pour prolonger la réflexion (Éditions Contrejour, 2017). Sa plus grande découverte ? Lol V. Stein, qu’elle a choisi d’exposer sur un mur de cinq mètres linéaire au Palazzo Mora à Venise. Ce fut « un dépassement de soi pour certaines d’entre elles », confie-t-elle « Cela leur a permis de gagner en confiance. Pour Desqueyroux, ce fut difficile, car mon modèle est ligoté ; d’où la nécessité de tricher un peu en la photographiant de dos. Mais ce n’est pas comme chez Araki où le bandage est douloureux, très serré et où la peau est maltraitée. J’amène mon esthétisme et ma poésie. Mon costumier a créé une tenue en macramé qu’elle a enfilé comme un maillot de bain. Pour Lisbeth, je voulais avoir l’image d’un petit animal ratatiné, à l’affût, très étrange, avec ses mains pleines de sang pour renforcer le mystère et l’étrangeté. Je la voulais nue comme un lézard sur ce rocher ».

Entre lumière et matière

Si Eaux des Cieux est sa première série de photos, c’est à partir de Lumière des Passés (souvenirs de sa vieille ferme isolée et délabrée) et de Portraits de Femmes qu’elle s’est inscrite dans un désir d’écrire, d’échanger. Héroïnes atteint ce paroxysme, avec des tenues travaillées par son costumier et des questions formulées avec l’aide de son compagnon de vie, ancien journaliste de France Inter, passionné de philosophie et de littérature. Cette série porte un soin particulier à la lumière, au clair-obscur, l’une de ses passions, puisant des influences chez Ingres, Velasquez, Vermeer, Goya : « Le clair-obscur me permet d’accrocher la lumière sur les tissus, les drapés, les corps. La mono-source est plus riche qu’une lumière diffuse ; d’où la nécessité pour moi de photographier en intérieur. J’utilise dans la gestuelle quelque chose d’un peu maniéré pour qu’une simple tâche puisse avoir la grâce d’une Madone. La lumière se pose et se perd dans le décor, effleurant les tissus. Derrière la gestuelle, la composition prend place dans cet écrin de lumière. C’est comme une sculpture ».

Eaux des Cieux (une plongée sous l’eau comme symbole de changement) propose un travail sur la matière, avec la gomme arabique : « C’est un procédé de tirage ancien. À travers ces femmes, nées à différentes époques, je parviens à créer une correspondance avec les femmes d’aujourd’hui, en gommant le contexte et les époques pour qu’on puisse s’identifier. C’est un choix esthétique magnifique et d’une grande poésie. Surtout, j’adore l’accident ; que quelque chose se produise au niveau du tirage pour me toucher ». Pour obtenir tous ces rendus, elle a opté d’emblée pour Nikon. « Les boitiers ont une excellente ergonomie et une aisance d’utilisation, c’est fluide. Je me suis achetée de beaux optiques, inchangés depuis 20 ans. J’en suis heureuse. Pour Héroïnes, j’ai travaillé avec le D3X, pour Lumière des Passés, le D2X, et auparavant avec le D100. Aujourd’hui, je m’exerce sur le D850, récompense du Grand Prix ».

Projets multiples

Anne Kuhn s’ouvre désormais aux opportunités professionnelles. Elle a rencontré un marchand d’art pour une exposition à San Francisco et est en pourparlers avec une très grande galerie : « Je ne peux qu’applaudir cette belle reconnaissance qui m’a été offerte par le festival et qui s’offre aux femmes photographes ! ».

Si le succès d’Héroïnes a fait renaître ses précédentes séries, elle en prépare une nouvelle, centrée sur des histoires d’amour racontées en quadriptyque pour montrer l’état émotionnel d’un couple sur le temps qui passe. « Je vais également aborder la violence conjugale », confie-t-elle « car je l’ai vécu à une période de ma vie ». Anne Kuhn, toujours entre justesse et équilibre.

Anne Kuhn

En vingt ans, Anne Kuhn est parvenue à faire de la photographie son métier après un parcours de danseuse professionnelle, de portraitiste de célébrités sous contrat avec Gamma et de photographe de plateau. En 2018, elle rafle le trophée suprême au festival Les femmes s’exposent qui la propulse sous les projecteurs.

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