Pour la première fois, le Nikon Film Festival invite une graphic artist à imaginer l’affiche de la 9e édition. L’occasion de s’entretenir avec Flore Maquin, passionnée de cinéma, d’art et de pop culture de 28 ans, qui a révélé ses talents via de nombreuses affiches fan art avant d’apposer sa griffe sur celle du 71e Festival de Cannes sublimant le baiser entre Jean-Paul Belmondo et Anna Karina dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. Rencontre.
Comment est née votre passion pour les affiches de cinéma ?
J’ai toujours aimé le cinéma. Je me suis particulièrement intéressée à la culture des années 80 car je regardais beaucoup de films avec mon père, particulièrement le cinéma américain. Les États-Unis ont ce talent de savoir faire rêver. À travers mon parcours atypique, j’ai eu la chance d’intégrer l’Institut Lumière où j’y ai développé ma culture cinématographique. Je suis aujourd’hui à mon compte. Les affiches représentent un vrai challenge ; c’est ce qui donne envie d’aller voir un film. Il y a trois ans, mes premières affiches ont généré un vrai buzz inattendu sur internet. Je venais de créer mon portfolio et j’avais conçu cinq visuels, par plaisir : Les Dents de la Mer, Django Unchained, Fight Club, Mad Max et Pulp Fiction. La dernière a été la plus partagée.
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Vous avez ainsi travaillé avec Universal, Paramount, Wild Side, Arte, le Festival Lumière et dernièrement vous avez conçu l’affiche du Festival de Cannes 2018. Comment cela s’est passé ?
Ce fut un énorme challenge ! Cannes touche le monde, les cinéphiles et met en avant les cinémas de tous les pays. En tant que graphiste pour l’Institut Lumière, j’étais en lien avec Thierry Frémaux, qui a un attrait pour le design et le graphisme. On aimait échanger sur les affiches pour le Festival Lumière et il m’a proposé de réfléchir sur celle de Cannes. Bien évidemment, ce fut le graal !
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Aujourd’hui, le Nikon Film Festival fait appel à vos talents pour la 9e édition sous le thème du partage. Comment avez-vous imaginé cette affiche qui évoque la fresque de la Création d’Adam de Michel-Ange ?
Je n’avais pas du tout pensé à Michel-Ange en concevant l’affiche. Mais je laisse aussi mon inconscient travailler. J’était focalisée sur l’idée des mains qui se rapprochent. Pour exprimer le partage de la plus belle des manières, c’était d’unir les mains via une approche poétique. Car cela relève du don, de l’affectif. Il s’agit d’une vraie connexion. J’étais vraiment très enthousiaste sur ce projet. J’aime beaucoup le Nikon Film Festival, il appelle à la création de chacun. C’était donc un brief parfait ; ils m’ont donné le thème en me laissant carte blanche et une grande confiance. Ce fut un travail différent de tout ce que j’avais fait précédemment. J’aime surprendre, c’est important de varier.
Quelle technique utilisez-vous ?
J’aime particulièrement le digital painting, à savoir peindre sur ordinateur. Je travaille sur tablette graphique. Je peignais et dessinais sur papier au départ, et j’ai eu envie de retranscrire mon savoir-faire en art manuel sur ordinateur. J’ai ainsi pu concevoir des portraits et ce, de plus en plus vite. Pour le Nikon Film Festival, j’ai ensuite nourri le visuel avec des couleurs et de la texture.
Hormis Saul Bass, sans doute le plus légendaire, ou Drew Struzan, quelles sont vos influences ?
On me pose souvent cette question. Je n’arrive jamais à donner de noms car je n’en connais pas. Ce n’est pas vraiment les créateurs d’affiches qui m’inspirent, mais des artistes dans la peinture ou la pop culture, comme Andy Warhol, Kandinsky, Liechtenstein. L’inspiration me vient également quand je regarde un film, un acteur, un personnage. Je m’inspire de livres sur le design, sur les affiches de football de Jérémy Rouche et Zoran Lucic, très colorées et graphiques, ou sur les vinyles, hyper stylés. J’aime aussi les couleurs de Picasso, certains portraits de Van Gogh, l’univers geek et les jeux vidéo. J’aime les années 80, jusque dans mon look. Lorsque ça me plaît, je dessine une affiche. Je visualise souvent mes créations, mais j’ai besoin de photos pour m’inspirer. Le portrait de Dale Cooper de Twin Peaks, face objectif avec une tasse à café dans la main, est une création pure mais j’ai eu du mal à reproduire ses yeux. J’ai donc cherché des visuels réels pour dessiner son regard et ses cheveux.
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Frank Darabont, créateur de la série télé The Walking Dead et réalisateur de The Mist, Les Evadés, La Ligne Verte, formule clairement dans la préface du livre L’Art de Drew Struzan : « Les affiches de films sont devenues nulles ». Pensez-vous que le fan art prend le relais de la créativité face aux posters des studios ?
Je suis complètement d’accord. Les studios ont beaucoup d’enjeux lorsqu’ils sortent un blockbuster et veulent une affiche qui doit plaire à tout le monde. Certains font appel à des personnes comme moi pour concevoir des affiches alternatives afin de toucher la cible internet. Quand les créateurs sont populaires, c’est du bonus. Mais il est vrai que le fan art commissionné se développe de plus en plus. Les affiches aujourd’hui ne prennent plus aucun risque. Celles qui m’ont marquées deviennent rares ; je pense à celle de The Grand Budapest Hotel. Certains réalisateurs en prennent car ils savent qu’ils ne vont pas plaire à tout le monde. Les agences de production sont plus frileuses et leur seule solution est de faire appel parallèlement à des artistes pour créer des affiches alternatives à l’année. Ce que je fais.
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Y a-t-il des graphic artists, comme Olly Moss, qui vous inspirent ?
Oui, j’aime beaucoup Jason Edmiston, devenu une petite institution en termes d’affiches de films. Il refait des scènes avec une patte exceptionnelle. J’aime aussi le style géométrique hyper coloré de Van Orton. Certains ont vraiment de l’or dans les mains.
Il existe aussi le livre de Nicolas Winding Refn…
Oh oui ! Sur les affiches de films érotiques des années 70-80 ? Elles sont géniales ! J’étais présente lors du vernissage à l’institut Lumière. Je suis fan car elles étaient créatives à cette époque.
Que pensez-vous de la place des femmes dans ce métier ?
Les gens pensent souvent que je suis un homme quand ils découvrent mes affiches. J’expose actuellement dans un concept store pour hommes à Lyon. Ceux qui tiennent la boutique doivent préciser à chaque fois que l’artiste est une femme. Les gens sont surpris ; je ne saurais trop comment l’expliquer. En revanche, cela ne représente pour moi aucune barrière d’évoluer dans un domaine très masculin. Je surprends toujours car je joue aux jeux vidéo, j’aime l’univers geek. Les gens ont d’ailleurs tendance à assimiler le fan art au geek art.
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Après le Nikon Film Festival, quels sont vos prochains projets ?
Je vais ouvrir un e-shop pour mes visuels. J’ai eu énormément de demandes et je pense qu’il est temps de me lancer et de les vendre. Et pourquoi pas organiser une grande exposition pour l’occasion.