Que ce soit dans les montagnes d’Auvergne, où il vit, sur les hauts plateaux d’Abyssinie, dans les immensités glacées du Varanger, parmi les pics vertigineux du Huang Shan ou encore dans les Highlands écossaises, Emmanuel Boitier recherche et apprécie les endroits où la nature, véritablement prégnante, offre un espace infini. Des endroits où l’homme et la nature n’ont d’autres choix que de vivre ensemble et non l’un à côté de l’autre. Des endroits où la nature impose le rythme des vies. Il nous raconte ci-dessous l’un de ses voyages.
Les paysages découpés et grandioses des montagnes célestes du Huang Shan ont constitué (et constituent encore) l’un des épicentres, sinon l’épicentre, de l’art chinois. Depuis des millénaires, ils ont été immortalisés par des générations de peintres et de poètes. Fouler ces pentes mythiques était pour moi un rêve. Féru d’art asiatique, c’est l’esprit plein d’estampes, de brumes et de pics vertigineux, que je suis arrivé, un jour de février, au pied de ces montagnes sacrées.
De la brume, j’ai profité à l’envi, omniprésente et essentielle, tantôt épaisse et blanche, semblant caresser la roche, tantôt fine et grise, s’agrippant aux reliefs. Elle n’est jamais immobile, dévalant les précipices et déjouant les pentes, s’éclipsant soudain pour mieux revenir, quelques instants plus tard. Il y a quelque chose de véritablement fascinant à l’observer : c’est comme si mille paysages se faisaient et se défaisaient sous vos yeux, avec le souci de ne jamais se reproduire à l’identique.
Jamais je n’avais ressenti à ce point un paysage vivre. Le dialogue incessant entre la roche, la brume et les pins accrochés aux parois compose une symphonie naturelle qui confère au mystique, il faut bien l’avouer. Et on se surprend vite à rester des heures sur le même point de vue sans jamais avoir la sensation de vivre le même instant. Malgré la pluie qui cingle et le froid qui mord. C’est un paradoxe sublime qui s’offre alors au visiteur : la brume rend ici les masses inertes des pics et montagnes mobiles et vivantes.
On y devient vite comme abasourdi. Il y a d’abord la fatigue physique de se confronter à des milliers de marches, de gravir sans cesse des escaliers de pierre sans fin. Et puis il y a aussi cette attention permanente que l’on se doit d’accorder aux paysages et aux perspectives, que les vagues de brume modifient sans cesse, laissant apparaître un pic fugace, une ombre éphémère, un arbre furtif ou encore une paroi secrète. Le Huang Shan est à la fois magique et épuisant : il faut payer son dû à l’accession de la beauté.
Récit par Emmanuel Boitier
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