Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Interview

Cette photographe de 21 ans travaille depuis deux ans pour SIPA Press, l’une des plus grandes agences de photojournalisme. Elle a récemment remporté le Prix Nikon pour sa série « Les Gilets jaunes de rage » lors de la seconde édition du festival Les Femmes s’exposent, qui se déroule du 7 juin au 31 août à Houlgate. L’occasion de s’entretenir avec elle pour évoquer sa première mission à risque sur le terrain.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Votre série nous plonge au coeur de l’action et des revendications d’un mouvement sans précédent en France. Comment est né ce sujet ? À la demande de SIPA ?

J’ai pris l’initiative de le couvrir. J’avais envie de témoigner de cet événement car c’était historique, et comme vous l’avez dit, sans précédent. C’était aussi une forme de devoir en tant que photographe. J’y suis allée pour l’Acte III, l’une des plus violentes. J’ai tenté d’avoir un regard social, de représenter les émotions, d’avoir une certaine empathie. Si je prends quelqu’un en photo et qui me remarque, je n’ai pas envie d’être seulement quelqu’un qui passe. Je veux représenter son combat. Et au cœur de ce mouvement, il s’agit de personnes de tout âge, de tous horizons, de toute classe sociale. Le point de vue était donc très fort ; ces personnes revendiquent des idées, communiquent un ras-le-bol. Je voulais transmettre ce message.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Fumigènes, gilets jaunes, fumée de gaz lacrymogène, flammes, sang, drapeaux, casques noirs… Comment avez-vous travaillé cette « révolution des couleurs », thématique du Prix Nikon dont vous êtes la lauréate ?

Lors des manifestations, beaucoup de photographes se placent sur les scènes très tendues, où il y a de la castagne, des casseurs, des black blocs. Je ne suis pas à l’aise dans ces zones de conflits armés, de violences physiques. Dès le départ, j’ai choisi de couvrir les ruelles parallèles au mouvement de foule. Je me déplaçais très rarement dans les endroits chauds. La seule photo, qui représente cette zone chaude, est celle qui a fait la couverture de Paris Match. Je recherchais surtout des images fortes, en symbole, assez graphiques, en tentant de limiter le nombre d’éléments. L’homme qui pleure avec son drapeau dans une ruelle est l’une de mes préférées. Tout est suggéré. On ne voit pas cette masse de la manifestation, mais on comprend sa signification : il a un gilet jaune, un drapeau français et il pleure, car en arrière-plan, une fumée se dégage. On comprend qu’il sort d’un nuage de gaz lacrymogène.

Est-ce l’une des plus représentatives de votre série, de ce mouvement ?

Trois images me paraissent les plus appropriées à représenter le mouvement car il s’agit de personnes qui souffrent, qui viennent crier leur souffrance : l’homme qui pleure, l’homme avec son ciret jaune qui se tient la tête car il saigne, et la femme qui crie sur les CRS. Cette scène est restée gravée dans ma mémoire. Elle hurlait : « Combien d’entre nous aujourd’hui perdrons un oeil sous vos coups !! ». Pour moi, ce sont les photos les plus parlantes, les plus fortes.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Vous avez l’évoqué, l’une de vos photos a fait la Une de Paris Match et a créé la polémique puisqu’elle met en avant un antisémite, antithèse de la symbolique…

Oui, cette photo représente aussi le seul moment où je me suis forcée à plonger dans le mouvement de foule. J’ai vu ce groupe d’hommes énervés marchant avec des drapeaux en direction d’un barrage de CRS devant l’Arc de Triomphe. Je me suis dit qu’il fallait que je les suive, qu’elle ferait une image symbolique. Cela n’a duré que trois minutes car il s’est mis à pleuvoir des pavés. Je n’avais pas encore de protection. J’ai donc pris en rafale pour être sûre d’obtenir un plan avec ce gilet jaune face à ce CRS, avec en fond l’Arc de Triomphe et une belle forme de drapeau, en entier, allongé, en mouvement, qui donne un sens de lecture. Je garde toujours en tête des images de presse des années 80 ; c’est ce qui fonctionne le mieux pour les images symboliques.

J’ai ensuite envoyé la série à mon rédacteur à la SIPA, avec cette photo comme entrée de reportage. Il l’a retirée pour une autre qu’il estimait mieux adaptée. Au final, elle a été gardée. La SIPA a tout mis en ligne et envoyé un mail à plusieurs journaux. Une semaine plus tard, je reçois les félicitations de l’agence pour la Une de Paris Match. J’étais heureuse, c’est le rêve des photographes! Mais 2-3 heures après la publication en kiosque, le magazine me contacte pour me poser des questions sur ce gilet jaune, un représentant antisémite d’extrême droite. Personne ne l’a reconnu. Paris Match a publié un communiqué pour me dédouaner : « Les dizaines de photojournalistes engagés sur le terrain, en raison des conditions extrêmement difficiles, n’étaient pas en mesure de recueillir l’identité, moins encore les arrière-pensées des manifestants ». Les retombées médiatiques ont été importantes, soulignant la bourde de Paris Match.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Que vous a procuré l’annonce du Prix Nikon ?

J’étais fière ! C’était assez fou après la couverture du magazine ! J’ai reçu une pluie de félicitations par l’agence et hors agence. J’ai gagné en confiance. Cela me laisse entrevoir un avenir dans la photographie car c’est difficile quand on est jeune et quand on est une femme.

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Les femmes photographes de votre âge sont-elles encore sous représentées dans les médias ?

Complètement. Les JRI (journalistes reporters d’images) sont plus nombreuses. Le plus choquant, c’est à l’Élysée. Quand on est missionné pour photographier le Conseil des ministres, on fait face à une vingtaine d’hommes photographes, entre 30 et 50 ans. Je suis non seulement la seule femme, mais aussi la seule de 20 ans. On me prend généralement pour une « stagiaire ». Ces festivals sont donc très importants. Je n’ai pas eu de problèmes en tant que femme ni eu de remarques déplacées. Le souci majeur est mon âge, on ne me prend pas au sérieux. Les femmes sont pourtant majoritaires dans les écoles de photographie. Si nous sommes si peu ensuite, je pense que c’est lié à un problème de visibilité. La fondatrice du festival, Béatrice Tupin, expliquait que les journaux ont l’habitude de travailler avec les mêmes. Il faut donc s’imposer.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Vous avez remporté un Nikon Z6. L’avez-vous déjà testé ?

À l’annonce du Prix, je m’étais renseignée sur cet appareil, considéré comme le nouveau bijou de Nikon. J’ai démarré avec Canon car mon père me l’avait offert comme premier boitier. Par habitude, je n’ai pas changé. Beaucoup de collègues Canon ont basculé chez Nikon pour la qualité du traitement des couleurs. Et j’ai pu m’en apercevoir depuis une semaine : la balance des couleurs est incroyable. Je ne peux plus m’en séparer. Je vais désormais utiliser Nikon pour mes reportages longue durée. Il est super léger et a une facilité d’utilisation. La visée électronique, qui me permet de voir ce que je vais faire, est un bonheur. Sa discrétion me plaît beaucoup aussi. J’ai photographié des gens dans la rue et personne ne m’a remarquée, contrairement à mon appareil. C’est l’idéal pour mes futurs reportages plus sociaux.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019

Comment envisagez-vous l’évolution de votre carrière ?

L’aspect social et les zones de tension au niveau humain m’intéressent. J’aimerais continuer dans la presse et en parallèle raconter des histoires à travers des séries photographiques. C’est la raison pour laquelle je vais suivre un campement de scout cet été. C’est un projet personnel au long cours.

Emma Prosdocimi, lauréate du Prix Nikon au Festival Les Femmes s’exposent 2019
Emma Prosdocimi

Emma Prosdocimi

Cette photographe de 21 ans travaille depuis deux ans pour SIPA Press, l’une des plus grandes agences de photojournalisme. Elle a récemment remporté le Prix Nikon pour sa série « Les Gilets jaunes de rage » lors de la seconde édition du festival Les Femmes s’exposent.

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