W///E//S/T est un travail réalisé en solitaire par le photographe Yohan Terraza entre la Californie et le Nevada au cœur des grands espaces de l’ouest entre janvier et février 2016. Il partageait avec nous en novembre 2015 une série photographique composée de paysages nocturnes étoilés, cette fois-ci il nous propose un récit personnel sur sa dernière expédition.
Quelques semaines avant de partir, je ne savais pas encore quelle serait ma route. J’ai souvent le réflexe de partir vers le nord, vers le froid et les montagnes. Je ne sais pas vraiment ce qui m’a fait me tourner vers une route plus estivale mais quoi qu’il en soit il faut aussi dire la vérité : ce voyage n’a pas été de tout repos.
Mono Lake fut ma première destination. Un lac suspendu entre rudesse des paysages et vents violents. Un endroit incroyable au parfum de bout du monde où la nuit reste dense et profonde. La petite bourgade de Lee Vining, seul relais de civilisation sur des miles à la ronde, fut mon point de chute pour quelques jours.
Ici, c’est l’homme qui a le second rôle. Tant mieux, je ne souhaitais pas prendre la parole, simplement témoigner de la beauté d’une nature indomptable. Les Tufa, ces concrétions calcaires rappelant des termitières fossilisées, prennent des allures de citadelles abandonnées et de squelettes de créatures mythologiques. Je les découvre à la nuit tombée, loin de tout, et posant le pied dans un univers riche. Le ciel est bas mais dévoile cependant une voute céleste maculée d’étoiles.
La route vers le sud se fera sous une tempête de neige. La nuit, le thermomètre est descendu à -13° et le bitume est totalement recouvert de neige. L’arrivée à la Death Valley se fait sous une lumière entrecoupée de nuages, par une route brumeuse. Quelle meilleure introduction que celle-là ? Des espaces où le regard ne sait plus distinguer le loin du près, tant la démesure est ici chez elle.
Je pose ma tente à Stovepipe Wells, un des rares endroits où il est possible de le faire. En hiver la Death Valley est vide et fraîche ; tout au plus 15° en journée avec parfois du givre sur la tente une fois la nuit venue. J’arpente les dunes de sables et choisis de m’y perdre à la nuit tombée pour commencer les photographies.
Parcourir un désert dans les dunes et les courbes du silence, voilà un rêve de gosse que je souhaitais réaliser. Je croise quelques timides coyotes. Le Nikon D750 me permet clairement de profiter de ces nuits sans lune où le ciel atteint ici une pureté rarement vue.
Je pars faire quelques photos de nuit à Badwater, point le plus bas de toute l’Amérique du Nord. Seul sur cette immense étendue salée, j’écoute encore ce silence. Personne à part moi à des dizaines de miles à la ronde. Je suis venu ici pour m’éloigner le plus possible de qui me connait et de ce que je connais.
Plusieurs jours comme ceux-là passeront avant que je ne me décide à partir plus au sud. Inévitable réconciliation avec la civilisation, les routes, les fast food et les motels abandonnés ne m’avaient pas manqué. Je choisis le contraste et passerai une nuit à Las Vegas, ce qui me permettra de me doucher, de vider mes cartes et de recharger mes batteries.
Direction le sud ensuite vers Joshua Tree en passant par le désert du Mojave. J’apprécie cette liberté et la richesse de ses espaces indomptés. Chaque minute désaltère ma soif de liberté. Même la radio ne capte plus. Joshua Tree est une réserve encaissée où je sentirai bien vite une sensation d’enfermement.
Malgré tout, ces paysages et cette flore de yuccas et de cactus prennent tout leur sens entre chiens et loups. On a réellement l’impression d’assister à des ombres chinoises nous mimant les scènes de western les plus cultes. Démesure des rochers et des plaines. La nuit est belle ici, malgré une certaine promiscuité avec la ville.
Dernière étape d’un voyage marqué par tant de contraste, la Vallée de Fey, un véritable coup de foudre pour moi. Réserve pourtant relativement petite si on la compare à d’autres parcs, son identité et ses paysages arborent des nuances uniques. Artistiquement parlant, je ne peux nier que cet endroit me touche profondément. Les ocres et les rouges habillent de gigantesques monolithes et falaises d’une poésie sanguine endémique. Le ciel se marie si bien avec la terre dès que le soleil se couche.
J’aurai au final parcouru quelques milliers de miles, beaucoup exploré certains lieux – notamment de nuit -, et profité d’une solitude avec laquelle la composition s’est admirablement faite pour combler mes exigences de photographe curieux et aventurier.
Récit par Yohan Terraza