Lucas Barioulet, que nous vous avions présenté l’an dernier, est photojournaliste en freelance qui couvre l’actualité pour l’AFP et d’autres médias pour informer et témoigner. Il nous partage son travail et son ressenti pendant cette période difficile de crise sanitaire.
Que s’est-il passé pour vous depuis notre dernier article ?
J’ai continué de collaborer avec l’AFP et le Monde sur différents évènements d’actualité, tout en continuant mon reportage au long cours sur la Mauritanie, où j’ai passé 1 mois en décembre, y réalisant entre autre une série sur la toute nouvelle équipe de football féminin, récompensée au Sony World Photo Award. Puis, rapidement, la crise Covid19 s’est faite pressentir. J’ai commencé alors à me pencher, avec les rédactions, sur cette période qui s’annonçait inédite.
Quel est selon vous le rôle des photographes dans de telles périodes ?
Notre rôle est toujours le même : informer sur ce qui se passe dans le pays, aller là où d’autres ne peuvent pas, revenir avec des images afin de montrer la réalité. Ce qui a changé, à mes yeux, c’est la demande d’information de la part des lecteurs/auditeurs, pour la plupart confinés chez eux et avec beaucoup d’interrogations sur la situation en France. C’est une importante responsabilité. Il y avait et il y a toujours un réal besoin d’informer, surtout pendant cette période. Il nous incombe également de montrer le travail exceptionnel des professionnels de santé, mobilisés en première ligne dans la lutte contre l’épidémie. Certaines cliniques et hôpitaux étaient réticents à l’idée d’accueillir des journalistes dans leur service, mais une fois sur place, pour ma part, les équipes médicales ont été formidables et attentionnées, attachées au fait que l’on montre leur lutte quotidienne. Eux sauvent des vies, et nous sommes là pour que ces héros de l’ombre ne restent pas inconnus, des médecins aux infirmiers/infirmières en passant par les aides soignants.
En dehors de l’hôpital, d’autres professionnels et bénévoles jouent également un rôle majeur, des secouristes aux pompes funèbres en passant par la police, qui m’ont accueilli et permis de témoigner sur leur réalité. Il était également important de montrer ce qu’il se passait dans les services de réanimation, la gravité des cas Covid, pour montrer qu’il s’agissait d’un virus beaucoup plus grave qu’une « simple grippe », touchant également des jeunes en bonne santé. Ce sont souvent des images dures, parfois difficiles à prendre, mais pour autant indispensable, pour éviter par la suite toute minimisation de la crise.
Les reporters amateurs représentent-ils une menace pour vous ?
Non. Ce qui est sur, c’est qu’aujourd’hui nous ne seront jamais les premiers sur place : quelqu’un avec un Smartphone peut témoigner d’un événement. En est-il journaliste pour autant ? Non, car cela implique de recouper, vérifier les informations, travailler d’une certaines manière et avec un certain code (énoncé dans la charte de Munich), s’attacher à regarder l’événement sous différents angles, garder autant que possible une neutralité, savoir quand ne pas prendre / publier une image. C’est là que se situe la différence.
Comment avez-vous réussi à couvrir l’actualité avec des restrictions fortes ?
Cette crise sanitaire a modifié totalement nos méthodes de travail. Le télétravail étant impossible pour nous autres photographes, chacun a fixé ses limites, sur ce qui lui paraissait être un niveau de risque acceptable. Certains se sont concentrés sur le quotidien des français confinés, d’autres sur cette France vidée de ses habitants, certains ont même opté pour l’autoportrait chez eux. Tous ces projets sont intéressants et permettent d’avoir des séries de photos complémentaires. Pour ce qui était des reportages au contact de personne infectées (secouristes, urgence, service de réanimation, pompes funèbres), nous étions équipés comme les membres des différents équipes, avec une combinaison, gants, charlotte, lunettes et sur chaussures, avec en plus le matériel à désinfecter presque chaque heure. Les rédactions étant fermées, nous échangeons avec nos collègues par message, sans contact physique. Si bien que j’ai passé plus de temps avec les professionnels de santé qu’avec ma rédaction en chef ces derniers mois…
La carte de presse, elle, nous permettait de circuler dans Paris et en France pour les différents reportages. Enfin plus que jamais, se rendre invisible sur le terrain est primordial, pour ne pas déranger les professionnels et respecter les familles/victimes dans ces moments difficiles.
Que souhaitez-vous transmettre à travers cette série de photographies ?
Permettre aux gens d’avoir assez d’informations et d’éléments sur la situation pour se forger leur propre opinion et agir en conséquence. Si certaines images ont pu entraîner des dons ou dissuader certains de sortir, alors tant mieux. L’idée était également d’aborder de sujets moins couverts, mais tout aussi importants, comme les violences conjugales ou la questions des funérailles de victimes.
Quelle est l’image qui vous semble la plus forte et pourquoi ?
Celle ou un petit fils embrassant son grand père une dernière fois alors que celui ci est emmené à l’hôpital, par les secouristes. Cette situation est malheureusement récurrentes : les familles se retrouvent contraintes de dire au revoir rapidement a leurs proches, sans pouvoir ensuite aller leur rendre visite à l’hôpital. Dans certains cas, ces aux revoir ressemblent plus à des adieux. . Cette image est triste mais montre également la solidarité et l’humanité qu’a fait surgir cette crise. Les secouristes, bénévoles, s’attachent à ce que le départ et le trajet se passe le mieux possible, alors même qu’ils s’occupent de plus de 8 cas de personnes infectées par jour. A côté, les familles se resserrent et se soutiennent.
Quelles sont les particularités d’un tel exercice ?
On en arrive rapidement a se demander ce que l’on fait là. On se sent parfois inutile avec notre appareil photo dans les mains, aux côtés de secouristes médecins ou infirmiers qui eux sauvent directement des vies. Puis on se rappelle que chacun fait un métier différent, qu’il l’a choisit, et que l’on a tous un rôle dans cette crise. On se dit que c’est important, de montrer leur engagement, de donner à voir à ceux qui sont bloqués chez eux, et de garder ces images comme preuves, pour que par la suite on ne déforme pas la réalité, on ne tente pas de minimiser ce qui s’est passé.
Comment avez-vous vécu personnellement cette période ?
Ca questionne beaucoup de choses, ça nous oblige à repenser notre métier et notre manière de travailler, ce que l’on veut montrer. De mon côté, ça n’a fait que renforcer ma motivation à faire ce métier. Prendre une photo est souvent la partie la plus simple du métier. Ce qui est compliqué, et encore plus aujourd’hui, c’est d’avoir accès à un endroit, une situation, un événement. Lorsque, par exemple, on suit les funérailles d’une victime, on demande beaucoup à la famille, qui en retour ne reçoit rien. Mais, via un cas, nous montrons une réalité qui a concerné et concerne encore des milliers de familles en France.
C’est dans ces périodes que l’on réalise le pouvoir de certaines images et comment elles peuvent amener à des changements.