La photojournaliste Stéphanie Buret a reçu le Prix Nikon de la révélation photographique sur l’environnement pour sa série sur la Suisse lors de la première édition du Festival Les Femmes s’exposent. L’occasion de plonger plus avant dans son travail, qui capture les mutations sociales, les résistances humaines et les constructions identitaires.
Globe-trotteuse, aventurière, curieuse, Stephanie Buret questionne le monde à travers des clichés rares sur des populations isolées et des territoires nouveaux ou inaccessibles dans un contexte de transition ou de dictature. Cette ethnologue de formation de 42 ans, installée à Genève après avoir vécu à Hong-Kong et à Madagascar, est devenue photojournaliste depuis trois ans.
Suisse, Corée du Sud, Russie Arctique, Birmanie, Érythrée, telles sont ses destinations photographiques saisissantes. Indépendante, elle sillonne ces terres abruptes où elle radiographie l’environnement, observant les interactions humaines entre splendeur panoramique et réalité difficile et extrême. L’actualité sociale, technologique, climatique et politique est ainsi au coeur de ses réflexions.
Fonte des neiges
Dans le cadre des cent ans de la promotion touristique suisse en 2017, la Genevoise représente un autre visage de la paisible Helvétie, qui se dévêt de son immensité blanche en altitude. « À la recherche du Paradis blanc presque perdu », qui a remporté le Prix Nikon lors de la première édition du Festival Les Femmes s’exposent, nous immerge dans la mouvance des paysages alpestres suisses. Entre conséquence du réchauffement climatique et urbanisation, elle signe ainsi des images percutantes et idéalisées des massifs, « synonymes de paradis terrestre » qui se transforment ici en « disneylisation de la nature », comme elle le formule. Installations high-tech, restaurants, hôtels, musées, concerts divertissent désormais les cimes sauvages de la Confédération Helvétique, tandis que des bâches recouvrent le Glacier du Rhône pour ralentir de manière dérisoire la fonte des glaces.
Stéphanie Buret nous confie : « Cette vision du glacier m’a horrifiée. Cette scène ressemble à une œuvre de Christo. Il s’agit en fait d’un joyau naturel emballé de sorte qu’il soit protégé de la chaleur et de l’intense réchauffement climatique. En été, le glacier, source du Rhône, fond à vue d’œil. Dans quelques décennies seulement, il disparaîtra complètement. L’acte de le recouvrir de draps blancs est emblématique de notre incessante volonté de maîtriser le chaos même si celui-ci est inéluctable. »
Femmes en résistance
À l’hiver 2016, Stéphanie Buret s’aventure dans la péninsule du Yamal en Russie Arctique, pour appréhender le quotidien des familles qui vivent dans la toundra, résistent à la sédentarisation et au monde moderne. Elle saisit ainsi le mode de vie des Nenets nomades, peuple autochtone et éleveurs de rennes. Plus particulièrement celui des femmes en charge des tâches domestiques dans leur tchoum. Ces « Reines de la Toundra » se dévoilent ainsi maîtresses des lieux de ce Grand Nord russe entre paysages glacés immaculés et chaleur des logis colorés.
Cette photo est sans doute l’une des plus étonnantes de son travail. Elle nous raconte : « Le soir, lorsque le générateur est en marche, il y a la possibilité de visionner des films. Ce soir-là, les enfants regardent « Gravity ». C’est une image qui montre le contraste d’une vie si vulnérable et accrochée au sol, si dépendante des éléments terrestres et du film qui montre l’espace et les nouvelles technologies. Le microcosme rejoint le macrocosme. Le temps et l’espace deviennent tout à coup relatifs. »
Villes futuristes
La photojournaliste décide de s’aventurer au coeur des villes nouvelles en phase de modernisation. En 2016, elle choisit Songdo, située à 60 kilomètres de Séoul, Corée du Sud, qui veut s’ériger en modèle social ultra-connecté, « soucieux de bien-être ». Cette ville verte de 100 000 habitants, portée sur les technologies et dédiée à l’innovation urbaine et architecturale, devrait terminer sa construction en 2022 via Cisco, l’un des géants de la Silicon Valley. Dans « Utopie futuriste », elle la décrit comme « une dictature invisible du numérique » et « à l’obsession de la sécurité ». Des images éloquentes qui dévoilent une « Smart City » du futur pleine de gratte-ciel, enveloppée par la brume.
Entre 2013 et 2017, elle se rend à Myanmar, Birmanie, pour photographier également l’évolution d’une autre métropole, Nay Pyi Taw. Cette nouvelle capitale au coeur de la brousse, devenue lieu de résidence des militaires, se partage entre hôtels de luxe, ministères, stades et autres zoos et parcs à thèmes. À travers sa série « La junte au pays des merveilles », elle parvient à illustrer en images les mots qu’elle reprend d’Aung San Suu Kyi, dépeignant cette « cité paranoïaque » comme un « Disneyland fasciste ».
Entre charme et oppression
En 2015, Stéphanie Buret s’envole pour l’Érythrée, situé au nord-est de l’Afrique, à l’orée de l’Éthiopie. Cette contrée de plus de sept millions d’habitants est réputée pour son style architectural Art déco. Sa série « Dolce Vita en enfer », qui lui a valu une reconnaissance internationale, propose une double lecture visuelle, sociale et politique où elle oppose cette touche esthétique italienne d’antan à la vulnérabilité du pays. Pour Stéphanie Buret, ce pays sous dictature fut « son plus grand risque », ajoutant « Sur place, je pouvais me faire arrêter mais aussi mettre en danger les résidents que je côtoyais. »
Elle commente particulièrement cette image qui l’a beaucoup touchée : « Elle a été prise dans un café art déco de la capitale Asmara. Le décor de style moderniste italien se retrouve partout dans la ville. Dans un pays sous dictature, fermé et coupé du reste du monde, Asmara a un air passéiste et nostalgique. Cette femme fait une pause avant de servir ses clients puisqu’à cet instant, il n’y a plus de courant électrique, comme cela arrive très souvent. »
Sensible aux contrastes et adepte de la double lecture visuelle, elle aime sonder « l’isolement, la solitude, la tyrannie, la transformation et le temps qui passe » pour mieux « documenter ces grandes thématiques sous forme poétique ». Inspirée par certains cinéastes (Jia Zhang-Ke, Jacques Tati) et photojournalistes (Evgenia Arbugaeva, Rebecka Uhlin), cette membre du collectif Haytham Pictures travaille actuellement sur la thématique du corps après la mort.
Très belle photos et très bon reportage, donne envie de partir en voyage auprès des Nenets en autre.
Merci pour ce moment de partage.
Bonsoir,
de très très belles photos