Auteur et photographe professionnel, Olivier Roche est engagé depuis de nombreuses années dans une pratique photographique traitant de la question du paysage contemporain et de la forme architecturale. Son projet « De Béton et de Lumière » raconte en images le dialogue intime qui s’est tenu entre architecture et photographie lors du chantier de rénovation de l’Espace Oscar Niemeyer au Havre. Découverte.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis photographe professionnel, auteur, et je m’intéresse aux questions liées au chantier et à la construction, à l’urbanisme et au paysage contemporain à travers le prisme d’une approche artistique. Concrètement cela veut dire que sur ces sujets, je conçois et réalise des projets artistiques à destination de partenaires privés ou institutionnels. J’expose et j’édite mon travail, je vends mes tirages originaux et j’interviens également comme conseil auprès de confrères photographes sur ces mêmes domaines. Je suis venu à la photographie un peu par hasard à l’adolescence sans qu’il y ait eu d’élément déclencheur. Rétrospectivement et comme le définit Serge Tisseron dans « Le mystère de la chambre claire » je crois que j’avais besoin d’un outil d’appropriation du monde, de me sentir acteur lorsque je ne devais être que spectateur. Et l’appareil photo permet cela.
Comment avez-vous appris la photographie ? Quelles sont vos inspirations ?
Mon premier appareil photo ayant été un reflex argentique monté d’un simple 50mm, j’ai envie de vous dire que mes tous premiers sujets étaient ceux qui rentraient dans le cadre ! Des paysages, déjà, et autant que je puisse m’en souvenir, avec une attirance pour une certaine forme d’abstraction. Sans doute était-ce consécutif à l’utilisation d’un objectif unique et sans effets optiques. Excellente école que celle du 50mm, que j’ai du utiliser trois ans avant de le compléter par un grand-angle de 28mm, il a forgé mon regard et m’a obligé à tourner autour de mes sujets pour y poser un cadre.
Plus tard la diversité et la multiplicité des sujets abordés m’ont permis d’acquérir une grande technicité et d’intégrer l’Ecole d’Art du Havre, aujourd’hui ESADHaR, en tant qu’assistant d’enseignement artistique en charge des ateliers photos et de travailler avec Christian Gattinoni, professeur détaché de l’ENSP d’Arles. Mes références d’alors étaient très classiques, très photographiques. Elles se sont enrichies d’autres à la fois plus plastiques et picturales en collaborant à différents workshops mêlant photographie, peinture et sculpture. C’est sans doute ce qui explique la dualité que vous évoquez et la singularité de mon approche, entre fiction et réalité. Dans le travail que je mène actuellement, sur la forme architecturale et la construction, il y a les influences et l’inspiration. Les influences photographiques sont à rechercher du côté de Gabriele Basilico, de Lewis Balts et de de Robert Adams qui sont mes maîtres à photographier. Sur des auteurs plus proches de nous, j’apprécie beaucoup le travail d’Edward Burtynsky et ses « Manufactured Landscapes » ainsi que celui d’Andreas Gursky pour avoir réinterprété sinon démystifié l’école de Dûsseldorf. L’inspiration, elle, vient de la lumière. De la lumière qui dessine, qui enveloppe et qui sculpte. La photographie c’est avant tout de la lumière.
“De Béton et de Lumière”, est-ce la rencontre du brut et de la douceur ?
« De béton et de lumière » c’est d’abord l’histoire du chantier de rénovation de l’espace Oscar Niemeyer. Un ensemble architectural édifié à la fin des années 70 par le célèbre architecte brésilien et situé au cœur de la ville. Un chantier qui va durer trois ans et va permettre de rénover la Scène Nationale et de créer la future bibliothèque du même nom. C’est aussi une opportunité unique qui m’a été offerte par la « Scène Nationale Le Volcan » et la Ville du Havre de témoigner de cette renaissance et de faire dialoguer en images photographie et architecture. C’est enfin cette sensation de pénétrer en terre inconnue. Le temps du chantier a cela de particulier que sa temporalité permet d’en appréhender les différentes facettes et j’ai été frappé d’emblée par la sensualité que dégageait le lieu. Pas uniquement parce qu’Oscar Niemeyer était l’architecte de la courbe, mais dans sa luminosité, sa minéralité, sa rudesse parfois. Je n’ai pour autant saisi immédiatement ce qui allait m’apparaitre ensuite comme une évidence, le sujet n’allait pas être le chantier en tant que tel et son activité mais bien plus la mue et la transformation de ce bâtiment comme entité propre et quasi organique.
Vos photographies laissent penser à un explorateur apprivoisant un autre monde. Avez-vous rencontré des contraintes techniques liées à ce lieu atypique ?
Les premières semaines de travail sur site ont été fondatrices. Elles ont été consacrées à arpenter et repérer les lieux et à expérimenter différentes mises en forme photographiques possibles. D’un point de vue esthétique, la problématique du projet était simple, respecter le geste architectural de Niemeyer tout en l’interprétant, trouver la bonne distance au sujet en opérant à travers la « subjectivité neutre » qu’avait un Irving Penn devant ses natures mortes. Sur des questions purement photographiques, le process devait être capable de rendre la monumentalité du lieu sans contraindre à l’usage du très grand-angle. C’est à ce moment que j’ai envisagé de procéder par assemblages d’images. Les premiers essais par série de trois vues horizontales, réalisées par décentrement vertical au 24mm PC-E, me permettaient à la fois d’obtenir les angles de champ que le lieu exigeait tout en doublant la résolution linéaire de mes D800E. J’ai ensuite défini le format d’image qui me convenait. Le 4:3 pour traduire au mieux perspectives et élévations s’est imposé naturellement.
Pourquoi avoir choisi de travailler certaines photographies en couleurs et d’autres en noir & blanc ? Aviez-vous déjà en tête l’édition du livre à la base du projet ?
Après avoir développé les fichiers raws et procédé aux assemblages des fichiers haute définition, j’ai retenu près de 200 photographies qui constituaient le socle large du projet. Les développements avaient été faits sans chercher un rendu plutôt qu’un autre, il s’agissait de ce que j’appelle mes développements primaires, sans autre qualité que d’être neutres et bas contraste, en attente d’une intention de rendu. Il m’avait bien semblé tout au long du projet que le choix d’images couleurs ou monochromes serait difficile. L’orange et le jaune de chantier sont des couleurs très intenses, le béton brut de décoffrage a lui, l’élégance de sa palette de gris. Certaines scènes dans des éclairages très faibles et délicats appelaient le noir et blanc comme une évidence, d’autres, lumineuses et éclatantes, nécessitaient le besoin presque physique d’en voir la couleur. Le projet éditorial « De béton et de lumière » est né à la suite d’une belle rencontre. Celle d’un collectionneur qui, après avoir vu mon travail exposé, a souhaité le voir édité dans sa forme la plus juste. Grâce à son soutien, j’ai pu commencer à travailler, assisté d’un graphiste, à la conception du livre. Nous nous sommes très vite orientés vers une forme très aboutie mêlant papiers mat et satiné pour la reproduction des images couleurs et monochromes.
Pourquoi avez-vous fait le choix de dissocier “De béton et de lumière” et “Earthmoving” ?
Le choix deux papiers de reproduction a nécessité une photogravure qui a été réalisée par Daniel Regard / Les Artisans du Regard. Quant à l’imprimeur, j’avais dans ma bibliothèque quelques très beaux livres qui sortaient tous des presses de Media-Graphic / Les Compagnons du Sagittaire à Rennes, c’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers eux. Pour ce qui est de « Earthmoving », il s’agit d’une recherche personnelle menée parallèlement au travail sur le site Niemeyer, autour de la topographie des zones de chantier, des paysages temporaires que ces mêmes zones créent, et de la morphologie des machines capables de « bouger le sol ». J’avais très envie qu’elle ouvre l’édition par ses douze photographies en double page, d’un format parfaitement homothétique à celui du livre, en prélude à la série qui allait suivre, tout juste séparée par les trois textes bilingues. Lorsque j’ai ouvert les premiers cartons de livres et feuilleté le premier exemplaire, j’ai réellement eu la sensation de tenir en main l’objet que j’avais imaginé depuis des mois.
Peut-on dire que derrière ce projet se cache un passionné d’architecture et un amoureux de sa ville, Le Havre ?
Il y a quelque chose de fascinant dans cette ville à la lumière constamment changeante, au vent qui souffle dans ses larges avenues, à l’odeur d’iode qui vous enivre sur le front de mer. Claude Monet y a peint « Impression, soleil levant » , Gustave Le Gray est venu y photographier ses plus belles marines, la lumière par la présence de l’estuaire de la Seine y est vraiment particulière. C’est une ville nouvelle, une ville d’architectes. Créée par François 1er il y a 500 ans, rasée au cours de la seconde guerre mondiale, elle fut le laboratoire architectural d’Auguste Perret durant sa reconstruction. C’est véritablement une ville qui par son audace et sa modernité incarne comme aucune autre l’idée même de renaissance. Vous l’aurez compris, je m’y sens particulièrement bien.
Avec quels objectifs travaillez-vous pour jouer avec les perspectives ? Pourquoi travailler avec des appareils Nikon ?
Je crois beaucoup à la cohérence de vision que l’emploi d’un unique objectif va apporter dans une série. J’ai réalisé « De Béton et de Lumière » au 24mm PC-E et Earthmoving au 60 Micro-Nikkor. De fait j’utilise une gamme assez restreinte, qui couvre du 24 au 85mm en six optiques, trois PC-E de 24, 45 et 85mm et trois AF-S de 28, 50 et 60. J’ai cependant très envie de compléter avec un 105 f/1.4 que j’ai eu en prêt durant une semaine et qui s’avère être une grande optique, avec une signature d’image d’une grande finesse, très proche d’un rendu moyen-format. Il y a très peu de constructeurs qui offrent un écosystème professionnel aussi diversifié que celui proposé par Nikon, c’est ce qui a guidé mon choix. La fiabilité est irréprochable, les capteurs et optiques sont à la pointe. J’ai également été impressionné par le Nikon Z7 que j’ai eu un peu de mal à rendre après un week-end d’essai. Séduit à la fois par le boitier et son opérabilité et par le niveau de maturité du système. Je suis tout aussi convaincu par la nouvelle monture Z dont les caractéristiques devraient permettre d’aller encore plus loin en qualité d’image.
Quels sont vos prochains projets ?
En dehors des projets professionnels du moment, orientés sur mon cœur de métier, je réponds depuis quelques mois à des commandes de portraits avec lesquelles je prends beaucoup de plaisir à renouer avec une forme de photographie sociale. Je travaille actuellement sur plusieurs séries. « Tribute to Le Gray », sera un hommage au photographe éponyme et mettra en vis à vis des paysages maritimes et des nus féminins photographiés au sténopé numérique. « D’une rive, l’autre » est un projet de résidence artistique où j’aimerais mettre en relation les deux villes portuaires que sont Tanger et Le Havre. Enfin, j’ai très envie de produire prochainement une série autour de la question de la nature morte, là encore le maritime sera au centre de mes recherches.
Merci pour toutes ces informations.
Superbe série de photos