Le Festival Les femmes s’exposent, qui récompense les talents féminins, entame sa seconde édition du 7 juin au 31 août 2019 à Houlgate, avec pour partenaire Nikon et pour marraine la célèbre photographe franco-américaine Jane Evelyn Atwood. À travers cette programmation riche d’une quinzaine d’expositions sur des thèmes variés, rencontre avec l’une des participantes, la Rouennaise Florence Brochoire, spécialisée dans le photo-documentaire depuis une quinzaine d’années, qui évoque ses regards photographiques centrés sur l’humain.
Votre travail, riche et éclectique, met en lumière des individus dont on parle peu dans les médias afin de les libérer de leur carcan, tout en explorant des univers difficiles, comme les ouvriers, l’immigration, les malades du sida, les hôpitaux psychiatriques, les prisons, les couvents. Comment se font ces choix dans ces lieux finalement très fermés ?
C’est justement ce qui m’attire. J’aime me rendre dans des endroits où on ne peut pas aller sans le prétexte de la photographie, de la sociologie, et qui véhiculent de nombreux fantasmes, d’idées reçues, de préjugés, bons ou mauvais. J’aime faire ma propre constatation sur ces milieux fermés, comme les couvents ; j’ai beaucoup travaillé sur les femmes qui s’engagent dans la religion. Tous ces endroits interdits éveillent en moi une curiosité et l’envie de montrer comment cela fonctionne de l’intérieur. Ensuite, l’idée est d’oublier les reportages existants, comme par exemple la psychiatrie. Je pense au travail de Raymond Depardon, San Clemente, où les travaux sur la psychiatrie sont très durs. Oublier ces images, ces reportages que j’aie pu consulter, et restituer mon ressenti sur place.
Dans cette série que vous présentez au festival, vous montrez le microcosme de la pêche à travers des hommes et femmes qui en vivent. Qu’est-ce qui a motivé cette exploration à Dives en Normandie ?
L’idée m’a été proposée par la fondatrice du festival, Béatrice Tupin, à travers la résidence qu’elle organise une fois par an. Elle voulait porter un regard sur ces pêcheurs de Dives, situé entre Houlgate et Cabourg. Je suis partie à la rencontre de ces gens, ces familles, ces équipages qui vendent des poissons, des coques, des moules dans la Halle à Poissons. Cette série « Vagues et Lames » se compose de 12 visuels rectos versos, construits en diptyques.
Que vous a révélé ce travail ?
Ce qui était intéressant et que j’ai découvert, c’est vraiment ce microcosme. La vie s’articule autour de la pêche : ils en vivent, en mangent, en parlent. Tout est conditionné par la pêche et la manière dont l’univers s’organise via cette micro-société qu’est la Halle aux poissons, avec toutes les difficultés à travailler ensemble car entre eux, la compétition fait rage.
Vous photographiez des portraits, jouez sur la double lecture d’un même lieu, sur le décadrage, les premiers, seconds voire troisièmes plans, en capturant toujours des instants de vie, un regard fixe ou perdu au milieu des autres. Qu’est-ce qui vous plaît chez Nikon, de manière artistique et technique, pour raconter ces histoires ?
Cela fait quinze ans que je travaille avec Nikon, depuis que je suis en argentique. J’ai varié les objectifs, les focales et je fais des films avec les boitiers ; une habitude s’est installée avec mon matériel. J’adorais le D700 car il avait une très belle texture d’image, une intelligence de la balance des couleurs. J’ai dû m’en séparer car il commençait à vieillir, il ne filmait pas et j’avais besoin de fichiers en plus haute définition avec une qualité d’images plus dense en pixels. Je travaille aujourd’hui avec un D750. Ce que j’aime dans ce modèle, c’est de pouvoir décentrer les cadrages et comment l’écran peut basculer, ce qui me permet d’être très près du sol, ou à l’inverse, de pouvoir prendre une photo les bras levés en inclinant l’écran.
Vous êtes photographe indépendante depuis 2001, membre de Signatures depuis 2007, vous participez cette année à la seconde édition du festival. Comment expliquez-vous qu’il y ait encore si peu de femmes photographes ?
Depuis dix ans, elles sont de plus en plus nombreuses. Avant, elles faisaient les écoles mais ne poursuivaient pas de carrière. Aujourd’hui, elles se lancent et se confrontent à des terrains comme les manifestations, les reportages de guerre. L’évolution des mentalités prend du temps. Hommes comme femmes, c’est aussi très compliqué de trouver un équilibre entre reporter photographe et vie de famille. S’il y a de la censure de la part du milieu, je pense qu’il y a aussi une part d’autocensure dans l’esprit de certaines femmes. Ces festivals sont donc nécessaires, mais on aura gagné quand on n’aura plus besoin de créer ces événements, quand on sera arrivé à une mixité, un équilibre. Ils donnent cependant une légitimité à certains talents, comme Véronique de Viguerie ou Laurence Geai spécialisée en reportages de guerre. Car les hommes ont encore du mal à imaginer qu’une nana peut faire le job sur le terrain. Ce festival prouve le contraire. Il montre aussi que nous sommes nombreuses, en comparaison d’autres festivals, et qu’il y a autant de signatures que de photographes.
Vous considérez-vous comme une photographe féministe et militante ?
J’essaie de rester neutre. Mon militantisme est dans les sujets que je choisis, la manière de les traiter et de mettre en valeur ces femmes et ces hommes qui travaillent dans ce que j’estime être le bon sens. La photographie n’est pas une science exacte, il n’y a pas de règle. Certains terrains ont modifié la réaction des gens car j’étais une femme, comme mon reportage sur le foyer à Sonacotra sur les travailleurs migrants. Quand j’ai voulu prendre des photos de la salle de prière, la situation est devenue compliquée en tant que femme. Inversement, pour ma série sur les accouchements, les femmes m’ont autorisée à les photographier ; elles auraient dit non aux hommes. Plus qu’une question de positionnement, jeune, vieille, ou de sexe, il faut se sentir légitime. Cela ne peut pas fonctionner si au départ on s’excuse d’être une femme. Il faut briser les clichés, ce côté « fragile », « plus précieux ». J’ai pris l’initiative de couvrir les 60 ans de Sonacotra car je voulais retracer l’histoire des vagues d’immigration qui ont habité ces foyers d’accueil d’urgence. À la suite de ce travail, Libération et La Croix m’ont proposé de couvrir ce genre de sujets.
Des rencontres qui vous ont le plus marquées ?
Mon reportage sur les femmes contaminées par leur mari au Cambodge. Ma rencontre avec Say Na, une jeune femme dont j’ai fait le portrait à l’hôpital de Douleur sans frontières. Je l’ai photographiée alors qu’elle était dans un état très avancé de la maladie. Pourtant, sur la photo, elle me donne son dernier sourire car elle allait mieux. Mais un matin, en lui rendant visite, elle était décédée. Elle avait 30 ans. On a beau se préparer, certaines situations vous atteignent profondément. Cette rencontre m’a marquée et a donné plus de sens à mon reportage. Je devais diffuser son histoire, continuer dans ce réveil des consciences par rapport au traitement des antirétroviraux et que ces pays puissent avoir accès à ces traitements.
Quels sont vos prochains projets ?
Je me consacre entièrement cette année à ce reportage sur les pêcheurs. Je le considère comme un travail personnel au long cours. Car après cette exposition, je souhaite prolonger le travail et le développer pour la presse.
étant photographe de portraits ce quelle a fait est formidable
cordialement
Très beau travail, rempli d’humanité.
Je pense que la photographie doit d’abord servir à cela : ces témoignages poignants ont tant à nous dire…
Une photo qui ne nous parle pas est une photo sans âme.
BRAVO Florence
Un regard photographique résolument orienté vers l’humain, une volonté de comprendre, d’accompagner et de témoigner, de la sensibilité … Bravo Florence