Devant une maison faite de planches en bois et de taules, d’où s’échappe du reggaeton, une dizaine de jeunes tuent le temps. Ce sont les petites mains de la Empresa, une des deux principales Bacrim – bandas criminales – de Buenaventura, qui surveillent le barrio. El Gatillo (la gâchette), le pistolet à la main, est le responsable du secteur. Il raconte :
« De 15 à 19 ans j’étais dans les Farc, j’ai profité du programme de démobilisation de l’état, et maintenant je suis un chef de section pour une Bacrim (…) Ma vie c’est un film malsain. Je sais bien que je ne vais pas mourrir de mort naturelle, mais ici c’est tuer ou être tué, pas vraiment un choix, tu comprends ?»
Buenaventura est la ville de tous les contrastes : à la fois poumon économique et ville en proie à la violence la plus abjecte. Des victimes y sont démembrées encore vivantes par les Bacrim, qui contrôlent le trafic de drogue.
« Peut importe le nombre de fois que tu entends les victimes hurler, la peur t’empêche d’intervenir » raconte un habitant cité dans le rapport d’HRW. Malgré un commerce florissant et un potentiel touristique certain, plus de la moitié de la population est au chômage et les deux tiers vivent sous le seuil de pauvreté. Les richesses ne font que transiter à Buenaventura et ne profitent jamais aux habitants.
Le corollaire de cette misère est bien sûr la violence. Il existe à Buenaventura des frontières invisibles, que personne n’ose franchir, de peur de se retrouver dans une casa de pique, littéralement une maison de découpe. Les victimes y sont démembrées vivantes. Leurs membres découpés sont ensuite jetés à la mer, ou dans la mangrove voisine, surnommé isla de calaveres – l’île aux crânes, à la vue de tous, pour servir d’exemple. Une pratique lugubre qui s’inscrit aussi dans le cadre de la Brujeria, la sorcellerie propre aux bandes criminelles de la côte Pacifique. Les membres découpés servent ainsi d’offrandes, ou sont utilisés comme amulettes, destinées à protéger de la police et des balles des gangs rivaux. Une violence extrême qui terrorise la population, la dissuadant de toute velléités de rébellion contre ce règne de la terreur.
En plus d’avoir la main mise sur le trafic de la drogue, les Bacrim exigent également la vacuna – une taxe mafieuse qui s’applique à tout et à tous : pour passer d’un quartier à un autre, pour exercer un métier, pour importer ou exporter des produits, etc…
La médiatisation de Buenaventura par HRW avait choqué l’opinion nationale, au point de pousser le président Manuel Santos à militariser la ville et à renforcer les effectifs des policiers en mars 2014.
Aujourd’hui la criminalité a sensiblement diminué à Buenaventura, en partie grâce à l’intervention policière et militaire. De nombreux criminels ont été arrêtés mais les gangs font toujours la loi dans certains quartiers et les disparitions continuent. La population craint que la situation ne se dégrade à nouveau, et que, comme l’hydre de Lerne, de nouveaux criminels remplacent les anciens. Une menace qui pèsera sur la ville tant que les problèmes sociaux ne seront pas résolus.