Ami Vitale est une photo-reporter et réalisatrice de documentaire d’origine américaine. Ses photos sont régulièrement publiées par National Geographic, Geo, Newsweek et elle est récipiendaire de nombreuses distinctions comme le World Press Photo Award. Nous lui avons demandés son avis sur l’évolution du métier de photo-reporter aujourd’hui et ses conseils de photographe aguerrie.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours photographique ?
J’étais très timide quand j’étais jeune, mais la découverte de la photographie m’a donné le courage d’explorer de nouvelles voies. Lorsque j’avais mon appareil photo dans mes mains j’avais l’impression de tenir un passeport qui me permettait de m’engager avec le monde qui m’entourait. C’était un outil qui me donnait les moyens de découvrir les occasions de prendre de belles images.
15 ans plus tard j’ai voyagé autour du monde pour travailler dans plus de 85 pays, d’abord comme photographe, et aujourd’hui comme réalisatrice. De nombreuses publications internationales majeures m’ont commandé des photographies et j’ai eu l’honneur d’avoir mes œuvres exposées dans des musées et des galléries dans le monde entier.
J’ai eu le privilège de faire partie du jury des concours de photo les plus prestigieux, et j’ai obtenu un contrat avec le National Geographic Magazine – une accolade rare pour un photographe ! Mais ces distinctions ne sont pas une source de motivation pour moi. Ce qui me pousse à sortir du lit le matin, c’est l’idée que la photographie a le pouvoir de sensibiliser et de provoquer des changements. C’est une vérité universelle que si l’on va au-delà des apparences, on découvre le caractère commun qui lie les cultures et les races. C’est notre devoir de mette en lumière tous les aspects unificateurs de l’espèce humaine, ce qui nous rapproche, au lieu de ne raconter que des histoires qui nous séparent.
Pourquoi avez-vous choisi le métier de photo-reporter ?
Voyager autour du monde pour prendre des photos peut paraître romantique mais, ce qui me motive, c’est cette conviction qu’on a besoin de plus d’histoires qui mettent en lumière la vérité universelle dont je viens de parler.
Votre carrière s’étend sur plus de 10 ans, quels changements avez-vous constatés dans le domaine de la photographie et comment avez-vous réussi à vous adapter à cet environnement en cours d’évolution ?
On a toujours besoin du photojournalisme. Ce qui change, ce sont les moyens à notre disposition pour raconter les histoires. La vidéo joue désormais un rôle de plus en plus important dans notre métier. Les appareils photos comme le mien peuvent réaliser les vidéos en HD, ce qui nous aide à raconter une histoire qui laisse une impression plus durable. La vidéo occupera une grande partie de ma vie professionnelle à l’avenir. Aujourd’hui les médias font face à une lutte intense pour survivre et sont à la recherche de nouvelles manières de communiquer, mais mon agenda est plus chargé que jamais et divers médias me commandent des histoires significatives, tout simplement parce que je peux les réaliser en vidéo.
C’est une époque passionnante pour tous ceux qui sont photographes ou journalistes et cet outil a la capacité de nous ouvrir de nouvelles possibilités. Les anciens modèles d’activité sont actuellement en crise, mais de nouvelles opportunités se présentent. Il faut savoir se redéfinir afin d’être en mesure de profiter des possibilités crées par les avancées technologiques. Nous n’avons jamais eu autant d’outils à notre disposition, ni autant de moyens d’atteindre de vastes publics.
Un autre changement est que la technologie a pour but de donner l’impression à tous d’être bons photographes. Pourtant, il ne s’agit pas de l’appareil photo ou de la technologie, le challenge est de savoir prendre des photos d’une qualité constante et de pouvoir révéler plus que les autres, un aspect différent que personne d’autre travaillant sur le même sujet n’a pu mettre en lumière.
Pouvez-vous nous parler d’un sujet que vous avez récemment abordé dans vos travaux ?
Pendant ces treize dernières années j’ai surtout couvert des questions traitant de conflit, de la condition des femmes, de pauvreté, de santé et de sécurité. Cependant, mon travail s’oriente désormais sur des questions ayant trait à l’environnement. Pendant les cinq dernières années le focus de mon travail a surtout été les enjeux environnementaux. (Rippleeffectimages.org)
L’ironie de la chose est que je ne prends que très rarement des photos de nature ou de paysages. Les histoires de la terre sont toujours les histoires des peuples, on ne peut pas parler de l’un sans l’autre. S’il y a une leçon à tirer des orages et autres catastrophes naturelles de ces derniers temps, c’est que nous sommes liés inextricablement aux forces de la nature. Le changement climatique nous affecte tous et personne n’est à l’abri de ses effets. Je ne suis pas photographe animalier, mais je considère que mon travail est de parler de la nature et de ce qui nous y lie.
J’ai récemment lancé une campagne de crowdfunding pour que je puisse continuer de travailler sur un sujet qui me tient à cœur. Il s’appelle « Il faut un village pour protéger un rhino »
http://proof.nationalgeographic.com/2014/02/27/ami-vitale-the-last-of-the-northern-white-rhinos/
Le braconnage commercial, mené par les réseaux criminels habiles, complexes, armés jusqu’aux dents et alimenté par la demande de nouveaux millionnaires dans les marchés émergeants en Asie, a un effet dévastateur sur la faune extraordinaire des plaines d’Afrique. Il est possible – même vraisemblable – que le rhinocéros, l’éléphant, ainsi qu’une foule d’autres animaux des plaines moins connus vont bientôt disparaître de ce fait.
La situation critique de la faune et le conflit entre les braconniers armés et les agents de la protection de la faune, qui sont eux-aussi de plus en plus militarisés, ont commencé à recevoir l’attention qu’ils méritent. Cependant, peu connaissent l’histoire émouvante des communautés indigènes qui sont pris entre deux feux et qui détiennent peut-être la clé pour sauver les animaux africains.
En outre, je viens de vivre un des moments les plus remarquables de ma vie professionnelle. J’ai eu le privilège de faire partie de la seule équipe de tournage étrangère qui a eu l’autorisation de documenter la première relâche dans la nature d’une panda en Chine. Il nous fallait nous déguiser en pandas car il est important que les pandas qui sont relâchés dans la nature ne voient jamais un être humain.
C’est une région où de mauvaises nouvelles sur l’environnement font partie du quotidien, mais le cas du panda géant pourrait se révéler l’exception à la règle, ce qui témoignera de la persévérance et des efforts des scientifiques et des écologistes chinois. Grâce aux programmes d’élevage des pandas pour les relâcher dans la nature et de protection d’habitats, la Chine est sur le bon chemin pour sauver son ambassadeur le plus célèbre.
http://lightbox.time.com/2014/04/14/panda-photos-conservation-wild/
D’après vous, qu’est-ce qui constitue une photographie de qualité ?
Une photographie de qualité n’est pas seulement belle, elle doit avoir un sens et une histoire.
Avez-vous des conseils pour ceux qui aspirent à être photo-reporter ?
La photographie ne s’intéresse pas à vous-même. Il s’agit des gens et des histoires que vous photographiez. Pourvu que vous souveniez qu’il ne s’agit pas de vous mais que la photographie consiste à raconter avec dignité les histoires d’autres gens, vous réussirez.
Enfin, je ne peux pas assez insister sur l’importance de la motivation, de la volonté de travailler tout simplement. Il faut avoir l’œil pour la photographie, ainsi que le bon niveau de motivation, d’intelligence et de maturité. En vérité, le fait de photographier n’est qu’une toute petite partie du boulot. La majorité du travail consiste à faire des recherches, écrire, planifier et obtenir un financement pour des projets à long terme.
Retrouvez Ami Vitale sur son site www.amivitale.com