Le film consacré à son tour du monde des océans et milieux aquatiques +/-5 mètres va révéler Joe Bunni au grand public en tant que photographe. Mais ce dentiste de métier a surtout fondé en 2006 une association nommée SOS océans qui a pour but d’informer et de sensibiliser le public à la préservation des milieux marins. Nous l’avons rencontré.
Parallèlement à votre métier de dentiste, vous menez une brillante carrière de photographe. Comment parvenez-vous à concilier ces 2 activités ?
J’ai trois secrets pour tenir bon. Mon premier secret, c’est le sport. J’ai besoin de me dépenser tous les jours. Mon second secret, c’est mon alimentation. J’adore manger, mais je ne mange que le matin et le soir, donc j’économise le temps que d’autres passent à table le midi. Enfin, je dors peu. Six heures par nuit me suffisent, ce qui me laisse du temps pour travailler.
Comment vous sont venues les passions de la plongée et de la photographie ?
J’ai commencé la photographie à 9 ans et elle ne m’a pas quitté depuis. Mais ce n’est qu’en 1987, à l’âge de 32 ans, que je me suis mis à la plongée. J’ai tout de suite été émerveillé par les univers si colorés que j’ai découvert sous l’eau, et j’ai naturellement eu envie de les photographier. J’ai donc acheté mon premier Nikonos. Du fait que cet appareil utilisant de la pellicule était dédié à la photographie sous-marine, je n’ai plus fait que de la photographie de plongée jusqu’à l’avènement du numérique. Mais depuis l’achat de mon premier reflex numérique, grâce aux caissons étanches, je peux pratiquer librement les deux photographies terrestres et sous-marines avec le même boîtier.
Votre photo d’un ours polaire a été rendue célèbre par le prix BBC Wildlife. Pouvez-vous nous raconter cette impressionnante séquence de prise de vue ?
C’était en 2009. Après trois jours de navigation à la recherche de l’ours blanc sur un petit bateau avec un marin et un guide, on a fini par trouver un ours blanc mâle. Mais il n’était pas commode. Il était hargneux et ne se laissait pas approcher. On a donc renoncé à l’embêter plus longtemps. Le 4ème jour, on a en revanche trouvé une femelle qui n’était pas farouche. Elle était plutôt bien en chair. C’est important car cela voulait dire qu’il y avait moins de chances qu’elle nous attaque si elle n’était pas poussée par la faim. Nous avons attendu qu’elle se mette à l’eau et s’éloigne de la banquise, sachant qu’il y a également peu de chance que l’ourse attaque si elle n’est pas près d’un rivage sur lequel elle pourra facilement ramener sa proie pour la consommer.
Je me suis donc mis à l’eau, attaché par la taille à une sangle qui m’aurait permis d’être tracté par le bateau en cas d’attaque. Au départ cette ourse était assez loin, mais voyant son reflet dans le dôme de mon caisson, elle a commencé à s’approcher. Mon cœur s’est mis à battre très fort. Je déclenchais calmement, vue par vue, au fur et à mesure qu’elle s’approchait, et je sentais mon cœur s’emballer. Elle est venue près de moi, jusqu’à embrasser le dôme et se rendre compte qu’il ne s’agissait pas d’un autre ours. A ce moment-là, elle a eu un mouvement de recul, et moi aussi ! Mais j’avais cette formidable séquence d’images en plus d’un souvenir impérissable.
Comment est venue l’idée du concept de +/-5m à l’origine de l’ouvrage publié en 2011, puis du film et de la série documentaire ?
L’idée de travailler proche de la surface m’est venue en 2006 avec la photo d’un bébé phoque dont le corps se réfléchissait sous la surface de l’eau. Au-delà de ce jeu de miroir très esthétique, cette image m’a fait réaliser le potentiel qu’il y avait dans cette zone de faible profondeur, baignée par une lumière du jour qui, n’étant pas filtrée, révèle avec éclat les couleurs vives des univers qu’elle abrite. Puis en y travaillant, je me suis aperçu des interactions qu’il pouvait y avoir entre l’air et l’eau, avec les oiseaux qui viennent pêcher ou les végétaux comme le palétuvier qui prend racine dans l’eau et s’étend dans les airs, tout en abritant un écosystème à ses pieds dans lequel les poissons viennent frayer.
Il faut savoir aussi que cette épaisseur d’eau est la partie la plus fragile car la plus exposée de nos océans. Alors je me suis dit que le meilleur moyen de préserver les écosystèmes vivant à faible profondeur, c’était d’en révéler la beauté et de donner envie à chacun d’aller à son tour enfiler un masque et un tuba pour faire en sorte que nos enfants, nos petits-enfants puissent à leur tour, plus tard, connaitre le même émerveillement. Dans mon ouvrage +/-5 mètres publié en 2011, et que chacun peut consulter librement sur le site internet de SOS Océans, j’ai associé mes images avec des poèmes écrits dans toutes les langues pour faire réaliser la dimension universelle de ces mondes merveilleux et fragiles qui sont là, juste sous la surface de l’eau.
Comment est venu ce projet de film ?
Dominique Hennequin, producteur et directeur de Nomades TV, avait vu mon ouvrage +/-5 mètres sur le site de l’association Planète océans et a été sensible au message. Il m’a dit être resté scotché face à cet ouvrage qui l’a enthousiasmé. Il m’a donc contacté pour me proposer d’en faire un film. Après un an à développer le projet, nous avons proposé une série documentaire en cinq épisodes ou un film de 90 mn. Arte a commandé la série documentaire, qui devait s’inspirer du livre, lequel comportait quatorze chapitres. Nous avons donc fait des choix. J’avais mis cinq ans pour faire les photos du livre, auxquels se sont ajoutés deux ans pour le mettre en forme. La réalisation du film a commencé il y a deux ans. Nous avons passé 200 jours en tournage pour treize voyages. Quand ARTE a vu les deux premiers épisodes, la chaîne a finalement commandé le film en plus. Ce film a reçu le soutien de l’UNESCO et de la fondation Albert II de Monaco, et il a récemment reçu la palme d’argent au festival mondial de l’image sous-marine de Marseille 2015.
Qu’est-ce que cela change de travailler seul et avec une équipe de tournage ?
Ca change tout. Quand on est seul, il y a un calme et une sérénité absolus. Le contact avec les animaux est bien évidemment très différent dès lors que trois bateaux tournent autour d’eux au lieu d’un seul. Et puis il y a les contraintes du cadre vidéo. Les caméra-mens veulent t’avoir avec l’animal, avant de le filmer seul. Du coup, je n’avais pas beaucoup de latitude pour pouvoir réaliser les images que je voulais. Nous avions à chaque fois assez peu de temps et beaucoup de plans à réaliser, avec ce que cela suppose comme mise en place technique. La scène du film où je me fais attaquer par un morse par exemple, qui était parmi les premières que nous avons tournées, ne se serait pas produite si j’avais été seul. Pour faire bouger les morses, qui étaient partis pour faire une sieste au soleil alors que nous étions tous à l’eau, un membre de l’équipe de tournage a cru bon de tirer un coup en l’air. Les animaux se sont affolés et ils m’ont attaqué, ce qui était logique. Le problème, c’est que j’ai failli me noyer car sous le choc d’une charge d’un morse adulte, j’ai perdu mon tuba et étant lesté, j’ai eu beaucoup de mal à refaire surface.
En cours de tournage, grâce à l’écoute attentive et patiente de Dominique Hennequin, on a tout de même réussi à faire en sorte que chacun trouve sa place et son compte. Comme l’équipe n’était pas non plus très grande, on a réussi à s’entendre.
Quel a été votre périple ? Comment avez-vous choisi les lieux que vous avez couvert ?
A l’exception du Sénégal, que Dominique Hénnequin m’a fait découvrir, je suis revenu sur des sites que j’avais déjà photographiés. Je savais ce que je pouvais y trouver et montrer d’intéressant. Nous avons parcouru tous les océans sauf l’Antarctique et l’Atlantique sud.
Quelle est l’image la plus forte que vous gardez de votre périple ?
C’est difficile de n’en retenir qu’une seule… J’en citerais au moins deux : la plus belle image est celle du requin baleine à qui j’ai enlevé un hameçon et qui m’a suivi ensuite pendant six heures. C’était vraiment émouvant. L’image la plus frappante, est celle d’un cachalot mort que j’ai photographié à la toute fin du tournage. Elle m’apparaît comme un signe, le signe que ma mission n’est pas finie.
A quoi voulez-vous que ce film serve ?
Je veux qu’il contribue à sensibiliser le monde aux merveilles des océans, mais aussi à leur fragilité. Montrer la beauté, l’accessibilité et expliquer pourquoi il est important de préserver ce patrimoine pour que les générations futures puissent le voir. Je veux que mes enfants et petits enfants puissent encore rêver d’approcher des baleines et des ours blancs.
Quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui voudraient goûter à la plongée en faible profondeur pour photographier les merveilles que l’on voit dans votre film ?
Mon premier conseil, pour en profiter pleinement, c’est déjà de savoir nager avec un masque et un tuba, et d’être bon en apnée. Une fois que cela est acquis, on peut faire un peu plus que de l’image souvenir. On peut commencer avec un compact étanche comme le Coolpix AW130 ou avec un hybride comme le Nikon1 AW1 qui a l’avantage d’avoir des objectifs interchangeables. Ce n’est pas un gros investissement et à faible profondeur, on peut sortir de très beaux clichés.
Et vous, qu’avez-vous emmené comme matériel pour vos expéditions ?
Pour la photo sous-marine, j’ai utilisé des boîtiers Nikon D800 et D700, un mes objectifs 16mm Fisheye, 14mm, 12-24mm DX,60mm Macro et 105mm Macro. Tout cela en caisson étanche bien évidemment.
Pour la photo terrestre, j’avais des boîtiers D4 et D800E et des objectifs 14-24mm f/2.8, 24-70mm f/2.8, 20 mm f/1.8, 85mm f/1.4, 70-200mm f/2.8, 80-400mm f/4,5-5,6 VR II, 200-400mm f/4 VR II et TC-20 EIII.
A ne pas manquer :
+/-5 mètres, la série documentaire, du 7 au 11 décembre à 19h sur ARTE.
Beaux livres :
A + – 5 mètres de la surface des océans, de Joe Bunni et Emmanuelle Grundmann aux éditions de La Martinière / Arte Editions