Spécialiste de la photographie animalière et naturaliste, Vincent Munier a entraîné l’écrivain Sylvain Tesson au cœur des hauts plateaux tibétains dans sa quête de la panthère des neiges. De cette rencontre est née l’adaptation cinématographique de La Panthère de Neiges, le roman de Sylvain Tesson qui a remporté le Prix Renaudot 2019. Le film sortira en salles le 15 décembre 2021.
Depuis son plus jeune âge, Vincent Munier nourrit un profond respect et une grande passion pour le vivant, et a photographié la faune sauvage aux quatre coins du monde. C’est donc tout naturellement qu’il s’est tourné vers l’énigmatique panthère des neiges au travers d’un voyage au Tibet, accompagné de Sylvain Tesson.
“Je suis un fidèle utilisateur de matériel Nikon, que j’utilise depuis mes 12 ans. J’entretiens d’excellentes relations avec cette marque et je suis fier d’être un ambassadeur européen de Nikon. En tant que photographe, il est à la fois stimulant et enrichissant d’avoir la possibilité et les moyens de réaliser un projet aussi ambitieux.” explique Vincent Munier, co-réalisateur et photographe sur le film.
Réalisé suite au succès du livre La Panthère des Neiges, le film, distribué par Haut et Court, sera en salles à compter du 15 décembre 2021. L’ensemble des images (photo et vidéo) de Vincent ont été réalisées avec différents Nikon, du D3s au D5 en passant par le D500 et D850.
Synopsis
Au cœur des hauts plateaux tibétains, le photographe Vincent Munier entraîne l’écrivain Sylvain Tesson dans sa quête de la panthère des neiges. Il l’initie à l’art délicat de l’affût, à la lecture des traces et à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes. En parcourant les sommets habités par des présences invisibles, les deux hommes tissent un dialogue sur notre place parmi les êtres vivants et célèbrent la beauté du monde.
Entretien avec Vincent Munier
Pourquoi la panthère des neiges occupe-t-elle tant vos pensées, et la plupart de vos voyages ces dernières années ?
Je reste un grand gamin qui se nourrit encore de ses rêves et d’images d’animaux mythiques. Cette panthère, je l’ai découverte à travers les récits d’aventure du biologiste américain George B. Schaller. Dans le Chitral, au Pakistan, il l’avait filmée dans les années 1970. Mais en partant pour la première fois au Tibet, en 2011, je croyais modérément à la possibilité de la voir. En revanche, je savais que j’allais croiser d’autres espèces tout aussi énigmatiques. Pour commencer, j’ai d’ailleurs passé un mois sans la voir – juste une trace –, mais c’était passionnant de la savoir présente. C’est d’abord le yack sauvage, animal totem d’une autre époque, probablement contemporain des mammouths ou rhinocéros laineux, qui m’a attiré sur ces hauts plateaux. Tout comme les bœufs musqués en Arctique. La panthère, au fond, est un prétexte. Un prétexte somptueux, mais un prétexte.
Qu’est-ce qui vous a fait revenir si souvent sur ses traces ?
Tout comme en Arctique, j’aime revenir sur les mêmes lieux… J’aime les découvrir à mon rythme, petit à petit, au long cours, souvent seul. Quelle satisfaction d’apprendre doucement à lever le voile sur les bêtes sauvages, à force de les imaginer, les pister, les observer ! J’ai en effet toujours préféré me concentrer plusieurs années de suite sur un sujet, plutôt que de papillonner et passer d’un reportage à un autre : fuir les commandes, suivre mon instinct. Concernant le Tibet, je dois en être à mon huitième voyage, pour des photos et un livre au départ. Et puis s’est imposée cette envie de film, avec une petite équipe de 2 à 3 personnes maximum pour éviter de déranger et être souples et flexibles dans ces milieux compliqués de très haute altitude. Léo-Pol Jacquot travaille à mes côtés depuis 8 ans, essentiellement au bureau : j’étais ravi de l’éloigner un peu de ses écrans et de l’embarquer là-haut ! N’ayant quasi aucune expérience de terrain, il m’a épaté par sa capacité à s’adapter.
Marie Amiguet avait un regard neuf à offrir sur les lieux, une sensibilité singulière… et j’appréciais sa discrétion de panthère. Sa mission était de nous suivre en se faisant oublier, pour nous filmer sans aucune mise en scène afin d’être au plus proche de la réalité. Cette méthode amène son lot de maladresses ou de faiblesses techniques, mais aussi une certaine sincérité des moments saisis. L’objectif, c’était que soient captées les émotions telles qu’elles nous traversaient.
Pourquoi avoir voulu partir les deux dernières fois avec un écrivain ?
Pour élargir le spectre, en quelque sorte. Me nourrir de ces beautés que je vais glaner et de ces rêves vivants n’est, à mon sens, plus suffisant. J’aspire à partager ces expériences, à attirer l’attention sur l’urgence qu’il y a à échapper à notre anthropocentrisme exacerbé, à l’hégémonie dévastatrice de l’espèce humaine sur toutes les autres. Je suis si meurtri par le sort de tous ces animaux acculés dans des espaces de vie de plus en plus réduits par notre faute ! Or, il est difficile de rendre compte de cette dimension par l’image seule, surtout quand on a choisi comme moi de montrer la beauté plutôt que la dévastation. Appuyer l’émerveillement que je cherche à véhiculer via mes photographies par un discours construit, engagé, m’apparaît nécessaire.
Et pourquoi Sylvain Tesson, dans ce cas ?
Sylvain et moi nous étions déjà croisés plusieurs fois, et il avait émis le désir de me suivre en affût. Je connaissais ses écrits d’aventure, mais c’est spécialement son livre Sur les chemins noirs qui m’a séduit. On y sentait une fibre écologique en filigrane. Naturellement, je l’ai invité pour clôturer mes aventures par un livre avec ses textes, et ce film. Comme souvent, j’ai à cœur de lancer des passerelles : transmettre l’émerveillement, suivre le rythme lent de la nature dont on s’imprègne complètement au fil des heures et des observations. Il s’agissait donc de filmer l’échange entre lui et moi autour d’un même rêve, tout en utilisant les images animalières accumulées lors de mes précédentes aventures là-haut. En parallèle, l’idée était de proposer un bel objet associé, un album dont les photos porteraient des légendes rédigées par l’écrivain. C’est mon côté artisan : suivre toutes les étapes à mon rythme, pour être au plus près de ce que je veux réellement partager, sans contraintes ni pression.
Vous Vincent, habitué à faire vos affûts en solo, vous étiez cette fois accompagné comme jamais : des guides, mais aussi un écrivain, une réalisatrice et un assistant-réalisateur qui vous emboîtaient le pas.
En quoi cela a-t-il changé votre approche ?
Je me suis conditionné autrement. Et puis, on était rarement tous ensemble. Un ou deux amis tibétains restaient sur le camp de base (au fond d’une vallée, proche d’une rivière), depuis lequel on rayonnait durant plusieurs jours, dans un paysage que je connaissais déjà un peu grâce à mes séjours précédents. Après quoi, on se séparait, pour fonctionner plutôt en binômes plus discrets.
La rencontre avec la belle était-elle garantie ?
Ce qui est fort, dans ce projet, c’est que tout s’est aligné. Il n’y avait pourtant rien d’évident, au départ, à ce que cette combinaison fonctionne. Et absolument aucune garantie que Sylvain finisse effectivement par la voir, cette panthère. Et puis, les tout derniers jours, elle s’est montrée ! Quand je me suis extirpé du duvet et de la grotte, et que je l’ai vue manger sa proie, tuée la veille, c’était un moment incroyable ! Quelque chose d’impossible à scénariser au préalable, évidemment.
A propos d’alignement des planètes, il semble qu’elles vous aient aussi gratifié d’une heureuse surprise pour la musique du film.
Ahurissant ! Nous avons eu la grande chance de collaborer avec Warren Ellis, un artiste hors pair, dont j’apprécie tant la musique minimaliste, si envoûtante. Elle entrait en évidente résonance avec les vastes paysages sauvages et les apparitions magiques des bêtes que je rencontrais au Tibet. Je rêvais de pouvoir un jour travailler avec lui sur un de mes films. Je pensais cet homme inaccessible, mais ici, malgré un emploi du temps hyper chargé, il a accepté de composer une musique originale pour notre panthère ! Et nos échanges, pendant ce travail, ont été enrichissants. J’ai découvert un homme sensible et bienveillant. Malgré nos univers très différents, nous nous sommes trouvé beaucoup d’influences communes. Alors même qu’il devait se rendre à Brighton pour enregistrer son album poétique avec Marianne Faithfull, il a réussi à faire de la place pour cette composition. Et à embarquer Nick Cave, son vieux complice, dans l’histoire. Nick chante sur les paroles de Sylvain ! Terminer le film sur la voix et la musique de ces deux-là, c’était inespéré !
Plus prosaïquement : vous avez déjà testé le confort des geôles chinoises par le passé en allant chercher la panthère. Le chemin administratif était-il moins périlleux cette fois-ci ?
Étonnamment, oui. Pourtant, dans ces régions, la police est sur le qui-vive : elle est partout et procède à des contrôles permanents. Interdiction de photographier la pauvreté des nomades, les installations chinoises, etc. Elle représente probablement le premier employeur de l’État chinois au Tibet. Et effectivement, lors d’un de mes précédents séjours, alors que j’avais découvert l’endroit parfait pour espérer voir la panthère, j’avais été arrêté par la police qui m’accusait de braconnage. C’était complètement aberrant et très violent. D’ailleurs, je pensais avoir été blacklisté et ne pas pouvoir y retourner. La présence exceptionnelle d’Européens peut créer un véritable climat de paranoïa dans certains secteurs. Par chance, on n’a pas eu de soucis les deux dernières fois. Pour la petite anecdote, les images de panthère sur le générique de fin, avec l’arrivée de la voix émouvante de Nick Cave, ont été faites grâce à une caméra à déclenchement automatique. Je l’avais placée sur une proie qu’elle avait fraîchement tuée, et entretemps, la police m’avait attrapé pour un interrogatoire musclé pendant quelques jours. Mes premières images de la bête sans la voir !
Racontez-nous votre première rencontre avec la panthère des neiges.
Quel moment ! Mais c’est d’abord le pistage qui est passionnant : chercher les traces, lire les indices, passer des journées entières les yeux rivés aux jumelles. C’est tellement excitant de la pister ! Elle a un petit côté diabolique, au fond, à nous observer en permanence sans que nous soyons capables de l’apercevoir. Elle nous oblige à fonctionner un peu comme elle : à nous cacher, à nous camoufler, à ne surtout pas être intrusifs… voilà ce qu’elle nous apporte. La première fois, les choses sont allées doucement crescendo : d’abord, des traces anciennes, puis des traces fraîches, un cri de corbeau (qui suggérait la présence d’un prédateur dans le coin), le temps qui change (ce qui pousse souvent les animaux à se déplacer)… et, alors que j’alignais des heures et des heures d’observation dans les jumelles, elle est soudain entrée dans mon champ de vision. Elle est passée sans me voir ! C’était comme une parfaite entrée de champ dans un film animalier. J’ai ressenti d’autant plus de satisfaction que je ne l’avais pas perturbée dans son déplacement. Le tout dernier séjour vous a offert également une nouvelle rencontre : l’ours du Tibet. Vous n’aviez pourtant pas l’air de trop y croire.
Une histoire assez folle, en effet. L’ours fait d’ailleurs un peu peur aux Tibétains : j’avais entendu pas mal d’histoires de conflits, là-haut, entre les nomades et le plantigrade. Mais parvenir à observer cet ours me semblait très improbable. Il fait si froid, là-haut : que peuvent-ils bien trouver à manger ? Ce sont quand même principalement des herbivores ! Voilà ce qui est fort dans cette passion, rien n’est écrit : on va de surprise en surprise. Vous avez emmagasiné une connaissance très fine de la nature et de ses habitants au fil des reportages.
Mais votre instinct jouet-il aussi un rôle dans vos décisions d’aller ici, de vous poser là, ou de pousser plus loin encore ?
Oui, un rôle énorme. Je crois très fort en la notion d’instinct. Il est difficile de décrire la façon dont ton corps est partie prenante dans ces moments-là, dans tes réactions et les choix que tu fais. Ton être s’imprègne de tout : tous tes sens sont mobilisés ; tu entres comme en vibration avec l’espace qui t’entoure et le vivant qui l’habite. Les émotions sont littéralement exacerbées, et ta part animale retrouve enfin le moyen de s’exprimer. Cependant, les échecs sont réguliers – et tant mieux ! Ils nous permettent de nous rendre compte à quel point nous sommes vulnérables là-bas.
Vous dites vous-même dans le film : « Je n’ai pas une démarche de photojournaliste, à montrer ce qui ne va pas dans la nature. » Mais recueillir ses beautés, n’est-ce pas un peu faire l’inventaire de ce qui va bientôt disparaître ?
C’est tristement vrai ! Et il se trouve que je ne suis pas assez armé pour poser mes caméras là où c’est dur, sombre, là où l’horreur s’est imposée. Je rends d’ailleurs hommage à ceux qui sont capables de s’y confronter. Moi, par nature, je tends à me nourrir de la poésie, de la beauté, même lorsqu’elle est extrêmement vulnérable, et j’aurais bien du mal à me faire le témoin uniquement de catastrophes écologiques.
Vous vous êtes souvent confronté à de très rudes conditions climatiques. Ce n’est sans doute pas un hasard.
Arctique, Antarctique et Tibet sont les trois pôles qui m’attirent pour de multiples raisons. J’ai toujours aimé les lumières du froid et les animaux qui vivent dans ces conditions hostiles. En plus, du fait de ces rudesses extrêmes, l’homme est moins présent, et le lien avec le sauvage beaucoup plus évident. Au Tibet s’ajoute une dimension géopolitique très tendue, les sites sont peu courus, et sa faune reste assez mal connue, à l’image du renard du Tibet, de l’antilope chiru ou du chat manul, par exemple.
Depuis quelques années, vous filmez plus souvent que vous ne photographiez, pour quelle raison ?
Je me suis pris au jeu dès que la fonction caméra a été ajoutée sur nos boîtiers photo, il y a une dizaine d’années. Au point que, dans les Asturies, où j’ai récemment fait un film sur les ours, je n’ai pas fait de photos du tout. Il me semble que l’image en mouvement est un moyen un peu plus évident pour faire passer des émotions. Pouvoir également intégrer du son, qui transmet ainsi l’écho du paysage, ses ambiances, ses résonances, c’est excitant. Mais un film, c’est aussi plus long et lourd à mettre en œuvre.
Après l’avoir croisée à plusieurs reprises, la panthère vous fait-elle encore rêver aujourd’hui ? Que représente-t-elle à vos yeux ?
La première rencontre est forcément inoubliable. Comme toutes les premières fois essentielles : avec le lynx boréal chez nous en France, que j’ai attendu pendant 15 ans, après moult bivouacs… Je l’entendais feuler, mais de là à le voir ! Et enfin, le jour où il se montre, on approche quelque chose de l’ordre de l’absolu, qui nous hante pendant longtemps. De même, je me sens hanté par le souvenir de la présence fantomatique de la première meute de loups blancs que j’ai observée dans le Haut Arctique canadien. On finit par se demander si ces visions relèvent du fantasme ou de la réalité, tant elles nous habitent. Et il n’y a pas que l’image ! Les odeurs, les bruits : tout nous imprègne durablement. Quelque chose d’extérieur à nous vient se loger en notre intérieur, et nous met en mouvement. Comme l’a fait le tout premier chevreuil que j’ai photographié à l’âge de 12 ans, et qui a fait basculer ma vie. Voilà l’effet que produit la panthère des neiges sur moi encore aujourd’hui.
À l’occasion de l’annonce du Nikon Z 9 et de la sortie du film La Panthère des neiges, le Nikon Plaza accueillera Vincent Munier pour une exposition digitale du 7 décembre 2021 au 8 janvier 2022.
Vincent a pu tester en avant-première le tout nouveau Nikon Z 9 et l’a mis à l’épreuve lors d’un shooting animalier dans les Vosges, sa terre natale. L’exposition intitulée « Vincent Munier : La beauté du monde sauvage » présentera une sélection des images et vidéos prises par Vincent avec ce nouveau boitier. Elle explorera également ses sujets les plus remarqués, de l’Arctique à l’Antarctique en passant par le Tibet. Enfin, l’exposition reviendra sur l’actualité de Vincent à travers la présentation de son nouveau film La Panthère des neiges.
Bonjour. Après la lecture du livre de Sylvain TESSON, magnifique, j’attends avec impatiente la sortie du film. Tout ça va-t-il disparaître ? Mais que va-t-on devenir ? Merci Vincent et Sylvain de nous ouvrir ces portes.