Samedi 8 Octobre 21h 30, place Gauquelin–Despallières à Bayeux retentit un fond sonore exceptionnel en intensité. A l’occasion de la 23ème édition du Prix Bayeux Calvados des Correspondants de guerre une houle d’applaudissements déferle littéralement du haut du chapiteau vers la scène qui accueille chaque année la remise du palmarès.
Le 1er trophée Photo qui vient d’être décerné, le Prix Photo Nikon est l’un des plus convoités par la profession. Lauréat, Yannis Behrakis, très fier d’avoir été ainsi adoubé par ses pairs, va recevoir en prime la nouvelle caméra d’action 36O° de Nikon, partenaire référent* depuis 7 ans et chaque année plus actif pour participer à la double réussite du Prix tant à l’égard des grands reporters que d’une population omniprésente dans les soirées débats, les projections.
Car le Prix Photo Grand public AFD attribué par un jury de 100 habitants- hommes et femmes de Bayeux jugeant en même temps que les « pros », a été aussi attribué, presque à l’unanimité, à Yannis Behrakis. La main sur le cœur, lèvres tremblantes, Yannis monte sur scène à nouveau recevoir son 2ème Prix de la soirée. Homme de cœur aussi reconnu que son talent de photographe engagé, il tient son trophée à la main et vient d’annoncer, par respect pour les Bayeusins et Bayeusines, qu’il fait don du montant du Prix (3000€) à Médecins sans frontières.
Yannis Behrakis cumule déjà en 2016 les « awards » : à New-York le Prix Pulitzer, à Londres The Guardian Photographer of the Year et à Tokyo The Days Japan International Photojournalism award.
Mais son émotion est toujours aussi intacte qu’une première fois pour ne pouvoir retenir ses larmes, en tentant de les masquer de la main. Le public ne s’y trompe pas, et se lève spontanément pour applaudir à tout rompre parmi des bravos mêlés aux sifflets de félicitation. L’auditoire de Bayeux, qui en a connu bien d’autres, tient à manifester une profonde reconnaissance au photographe grec, ici chez lui, depuis son 1er Prix sur l’Afghanistan en 2002. L’ovation perdure quelques bonnes minutes.
« Mon cœur bat vite », dit Yannis Behrakis, qui a vu la guerre arriver chez lui en Grèce . « Elle est venue frapper à ma porte et je me devais de tendre la main à tous ces rescapés », ainsi appelés par Yannis , fuyant les horreurs de la guerre, en situation catastrophique. « La peur au ventre et le ventre vide » comme l’a rappelé Jean–Léonce Dupon, co-fondateur du Prix , Vice–Président du Sénat lors de son discours d’ouverture.
Loin de tous les clichés et fier de l’hospitalité de tous ses concitoyens, lauréat comblé mais tout soucieux d’humilité, il raconte combien il voyait en pointillé parmi toutes ces jeunes filles embarquées sur ces radeaux de fortune, ces zodiacs du désespoir, le portrait de sa grand-mère fuyant l’incendie d’Izmir en 1922. Une grand-mère sauvée par la Marine française jusqu’à Marseille pour y travailler le temps de gagner de quoi payer son voyage de retour en Grèce.
Très imprégné par les valeurs humanistes reçues en héritage, les temps de crise sont pour Yannis Behrakis l’occasion de « savoir qui vous êtes ». Fils de général d’armée, bousculé par les pérégrinations paternelles «j’ai l’impression de faire de mes reportages de par le monde le prolongement de mes 9 écoles dans 12 pays » précise t-il en assurant combien tous les jeunes lycéens de Bayeux ont la chance chaque année de garder grands ouverts leurs yeux sur l’actualité internationale.
Pour dénoncer avec Jean- Léonce Dupon, une Europe de « non- accueil », et espérer la mise en place de démarches ô combien humanistes, qui ouvrent des vraies fenêtres d’espoir dans l’accompagnement et la reconstruction ». A condition d’obtenir de la presse le soutien, que souhaite vivement Patrick Gomont, maire de Bayeux : «Chaque fois, le public est au rendez-vous,… près de 30 000 personnes l’an dernier. Et c’est sans doute là le principal témoignage de Bayeux : la marque de l’intérêt de nos concitoyens pour le travail des journalistes et l’attente qu’ils expriment pour davantage de fond, de clefs de compréhension, de recul et d’analyse sur un contexte national et international complexe et tendu ».
La violence faîte aux migrants surgit parfois sur nos écrans, théâtres virtuels de toutes les turpitudes médiatiques ou politiques étroitement mêlées dans la boucle de leur indécente précipitation. A Bayeux, le business de la peur ne bat pas tambour et ne fait pas son plein d’un populisme tout aussi menaçant. Il faut les photographies de Yannis Behrakis pour réveiller notre conscience. Près d’Idomeni en Macédoine, sous une pluie battante, un père tient dans ses bras protecteurs sa jeune enfant, accrochée à son cou telle l’ultime bouée de sa courte existence, pour mieux lui donner un tendre baiser de réconfort pour arrêter le temps.
Retrouvez prochainement un sujet dédié au travail de Yannis Behrakis sur le Mag :
Une vigilance s’impose contre l’accoutumance à toutes ses images « d’enfance profanée » selon les propres termes de Jean–Claude Guillebaud, Président du Jury. La liste serait trop longue.
Avec courage politique Jean–Léonce Dupon a formulé le questionnement le plus pertinent dans l’urgence du moment : « Ne faut t-il pas qu’en particulier la communauté médiatique s’interroge sur son mode de fonctionnement qui transforme un outil de compréhension en caisse de résonance, voire d’amplification des peurs et des angoisses …». Les bonnes questions sont faites pour résonner longtemps en nous, a écrit Norman Mailer expert en « noirceurs de l’âme humaine ».
Dans l’impatience déjà de revivre à Bayeux en 2017 cette guerre des images et ces images de guerre de tous les Yannis Behrakis, Olivier Jobard, Aris Messinis, comme tant d’autres, honneur du métier et Homère contemporains de toutes ces permanentes Odyssées de l’errance vers notre Europe au bord du naufrage humanitaire.
(*) Nikon a mis en place depuis 4 ans l’organisation de Masterclass et a accueilli pour cette édition l’Association de préfiguration de la Fondation Patrick Chauvel. Pour permettre à tous les jeunes professionnels de devenir les auteurs des icônes de demain.
Texte par Alain Mingam (Président du Prix Photo AFD), adapté de l’article paru dans « L’oeil de la Photographie ».