James Hill, né à Londres en 1967, est un photographe de presse basé à Moscou. Lauréat du World Press Photo, du prix Pulitzer, du Visa d’Or, il va couvrir pour le New-York Times les prochains Jeux-Olympiques de Rio. Retour sur 25 années de photo-journalisme à travers l’Europe de l’Est, le Moyen-Orient, la Russie. Au coeur des conflits, au plus près des personnes, des douleurs, des espoirs et des interrogations d’un photographe rassemblés dans son dernier livre « Somewhere Between War and Peace » (ed. Kehrer Verlag, 2014).
Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai étudié l’histoire à l’université d’Oxford. J’étais ensuite supposé faire carrière dans la finance, mais j’en ai décidé autrement. J’ai voyagé en Asie et en Australie pendant un an, avec mon premier appareil. J’y ai appris les bases pour observer le monde à travers un boitier. Je suis retourné à Londres pour m’inscrire au London College of Printing et étudier le photo-journalisme.
Pourquoi avoir choisi l’Europe de l’Est en 1991 ?
Suite à la chute du mur de Berlin, l’Europe de l’Est représentait un terrain vierge à explorer : le véritable tournant politique à ne pas rater avec la chute du communisme. J’avais passé beaucoup de temps à étudier l’histoire et la politique dans les livres, je voulais voyager et voir ces événements de mes propres yeux. La photographie est le moyen idéal pour raconter et capturer l’histoire en train de se faire.
Je souhaitais me rendre en Russie, mais je n’ai pu obtenir de visa. Ce fut donc l’Ukraine où j’ai commencé par travailler en freelance, avec un Nikon F3 et un FM2. 10 ans avant la révolution numérique… Je ne trouvais pas à l’époque de laboratoires en Ukraine pour développer les films de la pellicule, que je devais confier à des connaissances dans des aéroports pour les faire tirer à Paris ou à Londres.
En 1995 je signe mon contrat avec le New-York Times et je déménage à Moscou. J’ai passé 3 ans à explorer les différentes parties de l’Ex Union Soviétique. En 1998, Je suis basé à Rome où je couvrais l’actualité du Vatican. C’est aussi à partir de ce moment où je pars au Moyen-Orient, à Gaza, dans le monde Arabe. J’intègre les « hard news » : Afghanistan en 2001, Irak en 2003, puis retour en Russie. J’ai arrêté de couvrir les guerres en 2005 et je poursuis ma carrière dans les reportages, les portraits, les enquêtes, les expositions.
Est-ce plus difficile aujourd’hui d’être un photo-journaliste ?
L’internet et la révolution numérique ont rendu le photo-journalisme bien plus puissant avec le temps réel de diffusion de l’information. Je me suis converti au numérique lors de mon passage en Afghanistan en 2001. Avec le Nikon DH1, j’étais en mesure de passer plus de 3 mois sur le terrain et d’envoyer chaque jour des photos au New York Times. Ma seule contrainte était de recharger la batterie de mon appareil. Au tout début de ma carrière, lorsque je travaillais pour Reuters, c’était complètement différent : après avoir pris les photos et rembobiné la pellicule, il fallait retourner à l’hôtel, faire chauffer de l’eau, développer la pellicule pour obtenir les négatifs, les scanner… bref un processus extrêmement long.
Mais, la révolution digitale a également provoqué des dommages à l’industrie des médias traditionnels : en 1993, j’étais en Géorgie à l’époque de la guerre civile. J’avais rencontré à la table d’un restaurant 3 photographes de Newsweek. Aujourd’hui, Newsweek est en crise perpétuelle, il est passé au tout-numérique en 2012. Je n’ai plus jamais croisé un photographe travaillant pour eux.
Quelles sont vos sources de motivations et d’inspiration ?
Pendant longtemps j’étais très attiré pour les aspects les plus extrêmes du monde : les conflits, les guerres. Une fascination née d’une curiosité mais qui me posait problème. Le rôle du photographe est ambigu : vous êtes un participant non invité de la scène. Chacun à son rôle : les civils, les soldats… et les photographes sont au milieu de ce no man’s land émotionnel avec ces gens qui leur font face.
C’est une profession étrange : par exemple l’Irak en 2003. L’avion atterrit au Koweit. J’attends deux semaines là-bas pour finalement entrer en Irak le jour où la guerre débute. Je suivais les marines américains. Je vais à Bagdad pendant trois semaines. Puis des reportages dans le pays pendant encore un mois et je repars. C’est un poids pour la conscience. Difficile de faire le lien entre ce que tu vois lors des conflits et la vie quotidienne, celle de ta maison.
« Les photos seront toujours là, comme des compagnons désagréables »
Qu’entendez-vous par « je suis emprisonné entre le devoir de me rappeler et le désir d’oublier » ?
Parfois, j’aimerais ne pas me rappeler des moments que j’ai vus. Mais c’est impossible de les effacer de ma mémoire. Les photos seront toujours là, comme des compagnons désagréables. On doit vivre avec elles, en quelque sorte faire la paix avec.
Si tu es là comme un simple voyeur, tu ne seras pas un photographe honnête. Tu es là non seulement pour être en accord avec tes principes mais aussi pour témoigner pour les autres qui ne peuvent y être. Je n’aurais pas la prétention de dire que mon travail va faire changer les choses mais je crois qu’il est important que les autres voient ce que j’ai vu. Je touche également leur curiosité.
Quel est le sens du titre « Somewhere Between War and Peace » ?
À mes débuts, je ne me posais pas de questions sur les risques que je pouvais encourir en territoire de guerre. On me proposait d’aller en Tchétchénie, en Irak, en Afghanistan, j’étais tout de suite partant. Mais après quelques années, je n’ai plus le désir d’affronter un tel niveau de violence. J’ai vu de nombreux morts, je m’en sens tout simplement moins capable aujourd’hui.
Lorsque j’analyse toutes ces histoires dans le livre, j’ai parfois du mal à croire que c’est moi qui était sur place. Votre famille, les enfants, les proches vous ouvrent d’autres perspectives.
Ce livre est une introspection. Pourquoi suis-je allé là-bas et ai-je capturé ces scènes ? Qu’est ce que j’espérais voir ? Les textes sont là pour accompagner les lecteurs dans les conditions réelles de chaque prise de vue.
Quelle est votre histoire avec Nikon ?
J’ai commencé il y a 25 ans avec un Nikon F3 et un FM2. Puis je suis passé au F90 et au F100. Ensuite, le digital avec un D1H, D2X, D3 et aujourd’hui le D4. Niveau objectifs, 24, 35 et 50 mm en prime penses (focales fixes) et zoom 24/70 – 70/200.
La caractéristique la plus importante pour moi est la fiabilité du système. J’ai visité des endroits éprouvants, non seulement pour le corps mais aussi pour l’équipement. Nikon a toujours proposé du matériel robuste. Je ne me suis jamais demandé si mon appareil allait supporter les conditions, il ne m’a jamais abandonné.
Il y a quelques professionnels qui passent d’un système à l’autre sans soucis. Ça doit être mon côté anglais, je suis attaché à la tradition du standard Nikon. Lorsque Canon a introduit l’autofocus, de nombreux photographes sont passés chez eux. Or ils ont redessiné tout le système de monture entre l’objectif et le boîtier, rendant les anciens objectifs incompatibles. Le système Nikon n’a jamais changé : je peux mettre un objectif daté de 25 ans sur mon D4. Ce n’est pas pensé pour être associé mais je peux toujours prendre des photos avec.