Mahé Elipe, l’humain au cœur de l’image

Portrait

Cette photojournaliste française de 28 ans, basée au Mexique, signe des reportages forts centrés sur la condition des femmes et les problématiques sociales et humaines. Rencontre avec ce talent émergent pour évoquer son parcours et le Workshop Nikon qu’elle a suivi l’année dernière dans le cadre du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre.

Mahé Elipe fait partie de cette nouvelle génération de photographes indépendantes et engagées sur les questions sociales à l’échelle humaine. Née en région parisienne, elle s’est intéressée très tôt à la photographie et à la condition des femmes. De la France aux États-Unis en passant par Cuba et le Honduras, c’est finalement en Amérique Latine que cette diplômée en arts appliqués et en photographie trouve sa voie. Le Mexique est un « coup de cœur absolu », qui la pousse à tout plaquer pour rendre compte des faits de société dans ce pays traversé par les montagnes, les déserts et les forêts tropicales. Un portfolio qui montre déjà les prémices d’une carrière remarquable sur le terrain.

De l’ombre à la lumière

Dans les mines, sur la scène musicale électro ou en milieu agricole, les femmes occupent tous les secteurs dans la société mexicaine. Pourtant, leur combat est peu relayé dans les médias. Si certaines sont devenues des figures populaires au sein du pays, elles restent quasiment inexistantes dans le monde. Mahé Elipe est l’une des rares correspondantes françaises à faire la lumière sur leur labeur au quotidien : « À l’époque, je travaillais aux États-Unis sur le reportage des agricultrices. Je souhaitais aller à Cuba pour traiter de la culture du tabac à travers les femmes qui fabriquent des cigares. Mais je ne voulais pas passer par la Floride et j’ai fait un crochet par le Mexique. J’étais censée rester une semaine, cela a duré un mois et demi. J’ai découvert une force militante incroyable. Dans un contexte difficile, ces femmes parviennent à joindre les deux bouts : à la maison, via l’activité écologique, féministe, et d’un point de vue politique. Je reste impressionnée par cette capacité à pouvoir tout cumuler. Je voulais ajouter ma pierre à l’édifice. On s’aperçoit dans l’Histoire qu’on se souvient des hommes mais très peu des femmes, alors qu’elles ont toujours eu une part importante dans toutes sortes de manifestations ».

Mahé Elipe, l’humain au cœur de l’image - PRISON POUR JEUNES FILLES HONDURAS
Mahé Elipe, l’humain au cœur de l’image - SEISME MEXICO 2017

Forces féminines

C’est par le biais d’une rencontre fortuite, dès son arrivée à Mexico en 2016, qu’elle entend parler de Las Patronas, une communauté de femmes qui nourrit les migrants d’Amérique Centrale qui tentent d’accéder à la frontière des États-Unis à bord d’un réseau de trains de marchandises. Pour Mahé Elipe, c’est l’évidence ; ce sera son premier et vrai reportage. Sa série capture ainsi ces femmes volontaires et solidaires dans ce village de La Patrona, sis dans l’État de Veracruz, qui préparent au quotidien des sacs alimentaires (riz, haricots, pain, tortillas, pâtisseries, bouteilles d’eau). Jusqu’à trois trains circulent par jour, de manière aléatoire et sans s’arrêter : « C’est hyper intense et impressionnant car elles n’ont que deux minutes pour lancer les sacs. J’ai passé dix jours dans le refuge des femmes. Un autre est dédié aux migrants qui descendent parfois du train pour se reposer, manger et reprendre leur route le lendemain. Las Patronas est comme une institution. Ce mouvement existe depuis 1995, soutenu par l’Église et les dons. Aujourd’hui, avec la politique d’immigration de Trump, les trains sont moins bondés car la police fait des arrestations en amont. Mais ces femmes, devenues un phénomène d’exemple, restent toujours impliquées ».

Lumière et émotion

Si elle privilégie le mouvement, le clair-obscur et la lumière, son approche reste instinctive, en quête du bon timing entre lumière et émotion. Cette Nikoniste dans l’âme a démarré avec l’appareil de son père, un F3 argentique, et a enchaîné avec un D300 semi-pro, puis un D600 avec lequel elle a signé Las Patronas. Elle utilise désormais un D750 avec les optiques 50, 28 et 35 mm qu’elle affectionne particulièrement. Colorées, intenses et contrastées, ses images dégagent force et espoir et sont d’une étonnante modernité, poussant même vers l’artistique et le pictural. Ses idées de reportages contribuent à ce rendu. Son portfolio dévoile une dizaine de séries aussi complexes que captivantes, comme « Les derniers Guaqueros » (communauté qui recherche illégalement des émeraudes sur leur terre en réponse au gouvernement) ou « Un village sans pères » (collectivité de femmes vivant sans hommes et de la culture de la noix de cajou). Et si ses sujets naissent souvent de rencontres, elle puise aussi dans l’actualité, à l’image de « Né dans la fleur » (travailleurs qui cultivent l’Amapola, petite source d’opium dont la gomme est utilisée pour faire de l’héroïne) : « L’idée m’est venue à travers l’élection du président « AMLO » [Andres Manuel Lopez Obrador, Ndlr] qui envisage de légaliser la production. Car ce qui m’intéresse, c’est de parler des personnes qui jouent un rôle essentiel dans l’Histoire ».

Mahé Elipe, l’humain au cœur de l’image - COLOMBIE FEMMES MINES EMERAUDE
Mahé Elipe, l’humain au cœur de l’image - COLOMBIE FEMMES MINES EMERAUDE

Workshop Nikon

En 2018, elle suit le Workshop Nikon destiné aux jeunes talents du photoreportage dans le cadre du Prix Bayeux des correspondants de guerre. Cet atelier de sécurité permet d’évaluer les risques, d’adopter les bons réflexes et d’apprendre les gestes de premiers secours. « J’ai été approchée par l’association Camille Lepage [photojournaliste tuée en 2014 en Centrafrique, ndlr], qui m’a proposé cette formation d’une semaine à temps plein, de 8h à 22h. Ce stage m’a permis de mûrir et d’être plus méthodique. Les correspondantes de guerre sont souvent exposées et travaillent avec des gens armés en permanence. Ce Workshop m’a appris à mieux gérer ces sujets, avec des techniques de base, des prises de self-défense et une épreuve finale de mise en situation, munie d’un gilet pare-balles : on vous tire dessus, vous devez sortir un collègue de la zone de conflit et lui faire des points de compression. C’est hyper détaillé et intensif ! ». Un métier qu’elle envisage sérieusement dans sa carrière : « J’avais commencé à observer les femmes dans les gangs au Honduras, mais cela demande du temps, de la confiance et de l’insertion. Il faut être prêt techniquement et psychologiquement car on est confronté à la souffrance des gens et à la mort. Je l’entrevois déjà à travers l’une de mes séries ».

Work in Progress

Aujourd’hui, cette membre du studio Hans Lucas et du Women Photograph développe plusieurs reportages au long cours : les féminicides, la fleur d’Amapola et les femmes qui recherchent les corps de disparus dans le cadre de la bourse Reuters attribuée à des photoreporters émergents. Dans ses objectifs, Mahé Elipe aspire à travailler avec la presse internationale et envisage de partir au Brésil. « Avec l’élection de Bolsonaro, ce serait intéressant de comprendre ce qui se déroule là-bas. Car à partir du moment où il y a une manifestation populaire et où le peuple veut reprendre ses droits et s’exprime, ça m’attire ». Quand on lui demande si la profession accorde plus de soutien aux femmes, elle répond positivement : « Je suis contente de voir que cela évolue, même si on est encore loin de l’égalité. Mais j’espère que cela continuera seulement parce que nous sommes photographes ».

Mahé Lipe

Mahé Elipe

Cette photojournaliste française de 28 ans, basée au Mexique, signe des reportages forts centrés sur la condition des femmes et les problématiques sociales et humaines.

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  1. Marc LAFEUILLE dit :

    Reportage sympa rapportant une situation compliquée dans le pays.
    Mais techniquement, compte tenu de tout ce que l’on m’a appris (et je suis TRES loin d’être parfait) je ne trouve pas ses photos extraordinaires. Cadrages inappropriés, lumière limite, mise en situation manquant d’intimité ou de compassion, …
    Toutefois je suis prêt à lire des réponses me démontrant que je me trompe.
    Je préfère être sincère dans mon propos plutôt qu’hypocrite. Désolé 🙁

  2. DELPECH JEAN PIERRE dit :

    TRÉS INTERESSANT ces extrais de reportage

  3. laurence bouville dit :

    j’aime beaucoup. Bravo !

  4. Atona studio dit :

    L’Humain avant la technique… à chacun son approche 🙂 … Je la soutiens entièrement dans ces reportages sur la condition des femmes et les problématiques sociales et humaines. Bravo 🙂

  5. BARDURY dit :

    mes remerciements pour ce reportage très intéressant